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V

Au mois d’octobre 1902, Gréard sollicita sa mise à la retraite. Cependant, il était encore dans la force, sinon de l’âge, du moins de l’intelligence, et ceux qui l’admiraient étaient en droit d’espérer que les lettres sacrifiées par lui à la pédagogie allaient prendre leur revanche, et l’écrivain mettre à profit des loisirs dont n’avait jamais joui l’administrateur. Cet espoir fut trompé, mais le sacrifice n’avait jamais été complet, et, dans la vie la plus occupée qui fût, Gréard avait toujours trouvé le temps de cultiver les lettres pures. Après avoir parlé du pédagogue, je voudrais faire apprécier le lettré.

Les nombreux admirateurs du talent littéraire de Gréard se sont complu à le traiter de moraliste et à le rattacher à cette lignée d’écrivains d’élite, quelques-uns même de génie, qui va de Montaigne à Joubert, en passant par La Rochefoucauld et Vauvenargues. Un moraliste éducateur ; tel est le titre que Mlle Bourgain a donné au livre qu’elle lui a consacré. L’expression est juste en ce sens que, dans presque toutes les œuvres qu’il a laissées, c’est la préoccupation morale qui domine. Mais elle ne donne pas une idée très exacte de ces œuvres elles-mêmes dont aucune n’est un traité de morale, ni un recueil de maximes. Gréard n’était pas coutumier de traduire ses pensées en axiomes. Il était le moins dogmatique des hommes, et, à ce grand pédagogue, tout ce qui était didactique répugnait. Je le rangerais plutôt dans la catégorie des psychologues. Ce qu’il a laissé, ce sont surtout des études biographiques, et, dans ces biographies, ce qui l’intéresse, c’est surtout la nature morale des personnages. A l’inverse de ces biographes qui recueillent les moindres particularités de la vie de leurs héros et ne reculent pas devant celles qui les amoindrissent, le détail des menus faits l’intéresse peu. Il les choisit avec discernement, et n’en rapporte que ce qui est nécessaire pour faire connaître le personnage lui-même et en mieux expliquer le caractère. Qu’il nous fasse remonter jusqu’à l’antiquité avec Plutarque, ou qu’il nous ramène, au contraire, en pleine crise des temps modernes, avec Prevost-Paradol et Schérer, il s’applique toujours à discerner et mettre en lumière le sentiment qui a dominé la vie de celui qu’il a entrepris de faire connaître. Chacune de ses biographies pourrait porter