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n’est pas autre chose... Vous serez entourée ici de tous les soins désirables, et, j’ose le dire, de tout l’intérêt que vous pourriez trouver ailleurs.

« — C’est très bien, général, j’y suis sensible, mais ce n’est pas la liberté.

« — Eh bien ! madame, suivez un conseil d’ami, — je me permets ce titre, — et dites-nous les circonstances du mariage.

« — Général (avec une extrême vivacité) ne m’en parlez plus, je ne veux plus rien écrire ; le gouvernement est infâme ; il veut ma mort, il l’aura.

« Ce disant, elle s’est précipitée dans sa chambre et m’a jeté fortement la porte au nez. Une minute après, elle est ressortie et a dit :

« — Ma colère n’est pas contre le général, dont je n’ai qu’à me louer, mais contre le gouvernement, et elle est rentrée[1]... »

Bugeaud profita sans doute de l’accalmie pour reprendre dès le lendemain la conversation ; cette fois sur le ton d’un carabin folâtre !

« Puisque vous voilà enfin résignée à faire vos couches ici, vous saurez, madame, que je vous ai arrêté deux nourrices. Ce sont de bonnes, jeunes et belles paysannes ; aussi, je ne veux pas que ce soit Deneux (le médecin) qui goûte leur lait. Le gouverneur doit vérifier tout ce qui entre dans la citadelle !

« — Ah ! général, m’a-t-elle dit en riant aux éclats, vous m’avez l’air d’un égrillard ! Je crois que vous jouez de mauvais tours à votre femme. Je le lui dirai. C’est bien mal à vous ; car on dit que votre femme est belle et bonne. Je me passerai peut-être de nourrice ; mais, dans tous les cas, je veux une bonne paysanne.

« — Madame, je pense que vous ferez fort bien de nourrir, ne fût-ce que pendant deux mois. Conservez, comme vous le dites, une mère à vos enfans. Il vous reste encore une carrière de bonheur si, réunie en Sicile à vos trois enfans, vous renoncez irrévocablement, pour eux et pour vous, à l’honneur de gouverner les hommes. La vie civile offre de bien plus grandes chances de bonheur[2]. »

Outre le docteur Ménière, le gouvernement avait envoyé à Blaye le docteur Deneux chargé d’accoucher la princesse, et le docteur Dubois pour le contrôler.

  1. Archives Nationales, F7 12171, dossier 5, p. 23.
  2. Id., ibid., n° 63.