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joute de poésie et de chant, dont la jeune fille sera le prix. Le berger Lel est vainqueur. Mais c’est devant Koupawa qu’il s’incline. Auprès de Snegourotchka, méprisée à son tour, Mizguir redouble de tendre ardeur. Elle résiste, il la menace et, pour la sauver, il faut l’intervention des esprits de la forêt. De plus en plus Inquiète et désireuse d’amour, l’enfant de neige ira trouver sa mère et lui demander le don divin, en dût-elle mourir.

Elle l’obtient, et, revoyant Mizguir, elle sait enfin l’aimer. Devant tous elle l’avoue, et bénit la douceur nouvelle du sentiment qui l’envahit. Mais l’aube se lève et, de son premier rayon, fond lentement le cœur et le corps de neige. Mizguir disparaît, et cette gracieuse aventure, où la logique le cède à la poésie, s’achève par un splendide cantique à la gloire du soleil et de l’été.

Il ne faut pas que le terrible drame écrase le conte charmant. Gardons-nous de sacrifier la Fille de neige à Boris, au sentiment grandiose et farouche le sentiment naïf, intime et familier. Ce fut une rare, une heureuse rencontre, que celle de la musique de M. Rimsky-Korsakoff avec la musique de Moussorgsky. Opposées presque en tout, sur quelques points cependant elles se rapprochent et même se touchent.

Deux figures, entre autres, se font le plus curieux vis-à-vis. Que État, pourrait-on dire, et quel État ! Quel tsar que le formidable Boris ! Et quel tsar que le vieil et débonnaire souverain des heureux Bérendès ! La félicité de son règne évoque le souvenir de cet aphorisme de Renan : « L’intention de l’univers est généralement bienveillante. » La musique n’a presque pas d’autre intention dans les scènes exquises où vraiment « une immense bonté » tombe des lèvres mélodieuses du « petit père >» à la barbe d’argent. Nous disons « presque pas » d’autre, car un grain d’innocente ironie se cache quelquefois en cette indulgente musique. De plaisantes sonneries de trompettes semblent se moquer, gentiment, de cette cour dépourvue d’étiquette et de cérémonie. Mais à tout moment, et par un savoureux contraste, le style se relève, et très haut. Si le vieux roi s’amuse à peindre de couleurs vives les pilastres de son rustique palais, il accomplit sa naïve besogne aux sons d’un hymne étrange, grandiose, que des rapsodes aveugles chantent à pleine voix. Si, du haut des balcons, deux hérauts convoquent le peuple de la ville, il y a peut-être dans leur appel un soupçon de raillerie encore, mais certainement il y passe un souffle épique, et qui remplit tout l’horizon, de grandeur et de majesté. Enfin je ne sais rien de plus touchant que la cantilène