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Douvres, en apprenant que le vent s’opposait au départ immédiat de son bateau. Mais encore cette crise de folie doit-elle avoir été aggravée, sinon produite, par quelque nouveau chagrin atteignant Rousseau, pendant ce qu’il définissait lui-même, la veille encore, « une époque heureuse autant qu’honorable, et qui m’assure des jours désormais paisibles. » À ce sujet, M. Collins émet une hypothèse qui me paraît avoir bien des chances d’être vraie. Il suppose que le séjour de Rousseau à Wooton Hall lui a été rendu impossible par la faute de Thérèse, qui, dès le début, « a toujours été en mauvais termes avec le maître d’hôtel de M. Davenport et tous ses autres domestiques. » Je ne puis croire, en vérité, que la maîtresse de Rousseau, comme l’en accuse le critique anglais, ait assidûment travaillé à dégoûter son compagnon de Wooton et de l’Angleterre, afin de pouvoir quitter un pays où elle s’ennuyait : mais sans doute cette pauvre femme aura-t-elle, en toute manière, peut-être à son insu, irrité et scandalisé les domestiques de la maison, et ceux-ci, un jour, auront fait retomber sur Rousseau la mauvaise humeur qu’ils éprouvaient contre elle. Les lecteurs des Confessions n’ignorent pas combien l’ancien valet de chambre devenu « philosophe » s’est, toujours, montré sensible aux moindres marques d’irrespect ou de moquerie de la part des serviteurs, dans les diverses maisons où il était reçu : les procédés à son égard de la valetaille de Wooton Hall lui auront paru un excès de « dégradation » plus humiliant et plus douloureux que toutes les calomnies des Encyclopédistes ; et, probablement, il aura suffi de ce misérable incident pour détruire, une fois de plus, l’heureux équilibre que six mois de solitude, de repos, et de travail lui avaient rendu.


M. Collins termine son récit par une comparaison rapide de « la façon dont Voltaire et Rousseau ont employé leur temps en Angleterre, ainsi que de l’impression que leur séjour dans ce pays a produite sur eux ; » et je n’ai pas besoin de dire que, cette fois encore, le parallèle tourne, tout entier, à l’avantage de Voltaire. Celui-ci, pendant les deux années et demie qu’il a passées à Londres, n’a rien négligé pour s’instruire « des mœurs, des coutumes, de la politique, de la religion, de la science, et de la littérature anglaises ; » il a « pénétré dans tous les cercles de la société, dans tous les clubs et cafés de Londres ; » et puis, lorsqu’il est revenu en France, il y a emporté, pour toujours, « l’affection, l’admiration et le respect les plus hauts «  envers la grande nation qui l’avait accueilli. Tout au contraire, l’auteur de la Nouvelle Héloïse a constamment témoigné, « pour l’asile de