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qu’elle produirait en France. Tout le monde sait d’ailleurs, à ne pouvoir s’y méprendre, que le projet de rachat est né, chez nous, sous l’influence de M. Jaurès, aujourd’hui décrue, mais alors toute-puissante. C’est un legs d’un passé périmé : il n’en est que plus surprenant que le gouvernement s’y soit attaché jusqu’à la mort.

M. Barthou se fait la partie belle lorsqu’il rappelle qu’à l’origine, au moment de la création des chemins de fer, quelques hommes d’une intelligence très pratique se sont déclarés partisans de l’administration par l’État. Il cite certains noms qui, effectivement, peuvent faire impression ; mais il était inévitable qu’à une date où on ne savait pas encore ce que seraient les chemins de fer, où on ignorait les conditions économiques qu’ils créeraient, où on ignorait encore davantage les conditions politiques vers lesquelles s’acheminait le pays, il se soit produit sur cette question des divergences entre les meilleurs esprits. Le gouvernement avait alors plus de défense qu’aujourd’hui, bien qu’il commençât déjà à être en butte aux maux qui ont fini par icier sa constitution, et ont formé en lui ce que les médecins appellent une diathèse. Heureusement, lorsque ces grands problèmes ont été agités autrefois et qu’il a fallu prendre des décisions où l’avenir économique du pays était engagé un instinct heureux l’a emporté : les pouvoirs publics ont adopté la solution qui était déjà la plus conforme à nos mœurs et à nos besoins, et qui devait le devenir encore plus par la suite. Un publiciste dont l’autorité a été plus d’une fois invoquée dans ce débat, et qui, bien qu’Allemand, a pénétré plus profondément que beaucoup de Français dans les détails de notre organisation économique et financière, sur laquelle il a écrit des ouvrages devenus classiques, M. de Kaufmann a parlé avec admiration des résultats obtenus par l’administration des compagnies de chemins de fer : il n’a pas hésité à les déclarer supérieurs à ceux qu’a produits, en Allemagne, l’administration directe de l’État. Ce témoignage d’un étranger, observateur intelhgent et impartial, a été apporté à la tribune par M. Prévet, dont nous aurons à parler dans un moment. Il était de nature à éclairer le Sénat sur les effets comparés des deux systèmes et à détruire l’impression qu’avait pu produire le discours de M. Barthou.

Au surplus, cet effet n’avait pas été bien profond. En écoutant M. Barthou, le Sénat attendait toujours une démonstration saisissante de l’avantage que devait offrir l’administration par l’État ; mais la clarté même de l’orateur nuisait à sa tbèse ; elle en laissait transparaître la faiblesse, et la démonstration espérée n’arrivait jamais.