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aurait au contraire conservé ses droits. Aussi Louis XIV le pressait-il d’accepter cette combinaison, et, oubliant ses griefs contre Victor-Amédée, il se faisait avec plus d’ardeur encore que l’Angleterre le champion de la cause et de la grandeur de son ancien ennemi. « Je vous avoue, écrivait-il à Philippe V, que, nonobstant la disproportion des états, j’ai été sensiblement touché de penser que vous continueriez de régner, que je pour-rois vous regarder toujours comme mon successeur, et que votre situation vous permettroit de venir de temps en temps auprès de moi. Jugez en effet du plaisir que je me ferois de pouvoir me reposer sur vous pour l’avenir, d’être assuré que, si le Dauphin vit, je laisserai en votre personne un régent accoutumé à commander, capable de maintenir l’ordre dans mon royaume et d’en étouffer les cabales ; que si cet enfant vient à mourir, comme sa complexion faible ne donne que trop sujet de le croire, vous recueilleriez ma succession suivant l’ordre de votre naissance, et j’aurais la consolation de laisser à mes peuples un roi vertueux, propre à leur commander, et qui, me succédant, réuniroit à la couronne des États aussi considérables que la Savoie, le Piémont et le Montferrat. Je vous avoue que je suis si flatté de cette idée, mais principalement de la douceur que je me proposerois de passer avec vous et la Reine une partie du reste de ma vie et de vous instruire moi-même de l’état de mes affaires, que je n’imagine rien de comparable au plaisir que vous me feriez si vous acceptez ce nouveau projet[1]. »

Les considérations de sentiment que Louis XIV invoquait d’une façon plus touchante peut-être que politique n’étaient pas pour amener Philippe V à prendre son parti d’un aussi inégal échange. Sa fierté s’y refusait, et peut-être même se montrait-il plus clairvoyant que Louis XIV, lorsque, dans la réponse qu’il adressait, après avoir pris deux jours de réflexion, à la dépêche de son grand-père, il faisait valoir le danger pour la France de mettre la couronne d’Espagne « sur la tête d’un prince de l’amitié duquel elle ne pouvoit s’assurer[2]. » Le refus de Philippe V coupa court à cette combinaison étrange, mais il ne tint pas à Louis XIV que les visées les plus ambitieuses de

  1. La diplomatie française et la succession d’Espagne, par a Legrelle, t. VI, p. 95.
  2. Ibid., p. 100.