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se vulgarisait. On trouvait plus commode de chercher la nouveauté dans les anecdotes apocryphes d’une pseudo-histoire que dans les délicates analyses du cœur. La Princesse de Clèves pourrait s’intituler Mémoires de la cour de France sous le règne de Henri II, mais tout l’intérêt est concentré dans le cœur douloureux de la princesse, tandis que les Mémoires de la cour d’Espagne, Mémoires de la cour d’Angleterre, Mémoires de la cour de Charles VII, les Anecdotes de la cour de Philippe-Auguste, Anecdotes de la cour de François Ier, Anecdotes de la cour de Childéric et tant d’autres romans de même farine étouffent pour ainsi dire l’histoire sentimentale dans le pêle-mêle et le faste enfantin d’une cour imaginaire. Ceux qui se sentent un grand courage ou qui savent trouver leur amusement partout, pourront feuilleter ces petits livres. Ils y retrouveront les pauvres décors que Mme de Tencin nous a rendus familiers, le jardin avec son « cabinet de verdure, » les rochers « horribles » pour encadrer les désespoirs amoureux, et les grandes routes où versent les carrosses, les héros d’un « agrément infini » qui meurent de déplaisir, et des rois mérovingiens qui ressemblent comme des frères à Philippe III ou à Louis XIV : « Mérovée, dit Mlle de Lussan dans ses Anecdotes de la cour de Childéric, ce Mérovée, grand guerrier, grand politique, le prince le plus magnifique de son temps, fit bâtir un palais superbe et des jardins délicieux dans une île de la Seine… c’était dans ces beaux lieux que Mérovée s’allait délasser de ses soins avec un petit nombre de personnes choisies, telles que ces personnes bien heureuses des voyages de Marly. » « Le règne de François second, écrit Catherine Bernard au début du Comte d’Amboise, semblait dans ses commencemens devoir être agréable et heureux. La reine sa femme était une des plus belles et des plus spirituelles personnes du monde. Sa cour était composée d’une partie de ces hommes illustres qui avaient formé celle de Henri second, et les dames avaient autant d’agrément que les hommes avaient de valeur. Le comte d’Amboise et le marquis de Jamsac s’y faisaient distinguer ; leurs familles avaient toujours été opposées d’intérêt, etc. »

Les héros de Mme de Tencin ne sont donc pas sans famille. Aussi bien n’était-ce pas son intention de dépayser ses lectrices en leur montrant des figures inconnues dans des paysages exotiques. Il semble même qu’elle soit restée volontairement fidèle à tous ces procédés surannés du roman traditionnel pour