Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Où sous le mystère éternel,
Incendie heureux, toute l’âme
Monte comme une grande flamme
Tourbillonnante vers le ciel !


SIX HEURES DU SOIR


Six heures, à Paris, en hiver, sous la lampe...
C’est l’heure où, plus pressés, les mots heurtent ma tempe,
Comme, battant de l’aile et prisonnier encor,
Un vol fougueux d’oiseaux qui veut prendre l’essor.
C’est l’heure où la rumeur des cités s’exaspère,
L’heure où l’âme soudain espère ou désespère !
Et je songe en ma chambre étroite, vaguement :
Partout, sur la moitié du globe, en ce moment,
À cette heure inquiète et nerveuse où nous sommes,
Exaltés par la nuit propice, tous les hommes
Qui vivent pour le rêve ou la science ou l’art,
Travaillent d’un esprit hâtif, comme hagard.
Des poètes, d’un doigt plus prompt, scandent leurs strophes ;
L’univers élargit des fronts de philosophes ;
Des musiciens, seuls dans l’ombre, au piano,
Nouent l’accord à l’accord d’un plus fluide anneau ;
Des savans absorbés, penchant leurs faces blêmes,
Méditent d’un calcul plus hardi les problèmes
Où l’infini des lois en nombres se résout ;
Des peintres, sur l’album repris, notent, du bout
D’un crayon plus subtil, une ligne plus douce ;
Des sculpteurs vont pétrir d’un dernier coup de pouce
L’argile qui fléchit sous les linges mouillés,
Dans le vide sonore et froid des ateliers...
Partout l’effort, partout l’ardeur, partout la fièvre,
La main crispée au front, la dent mordant la lèvre,
L’éclair d’orgueil, les pleurs d’angoisse dans les yeux.
Partout le songe humain haletant vers le mieux !
O minute du jour entre toutes profonde !
Collaboration de la pensée au monde
En tout point de l’espace, à toute heure du temps.
Qui s’accroît et se fait suprême en ces instans !