Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/640

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il restera un type humain très proche de celui de l’Iliade ou de la Genèse !

S’il en est ainsi, je voudrais que ceux qui continuent à écrire des tragédies grecques ou à les interpréter, ne se contentent pas de feuilleter de gros ouvrages savans, de visiter les musées et les collections, mais qu’il s’en aillent en Orient, qu’ils s’installent pour plusieurs mois à Damas, à Assouan, à Biskra, qu’ils regardent et qu’ils étudient ceux qui passent à pied dans les rues, ou à cheval dans les steppes, ceux qui sont accroupis sur les divans des bains ou sur les nattes des cafés. Ils verront là des gens qui savent encore se draper, qui n’ont pas besoin d’un costumier assisté d’un membre de l’Institut pour être habillés aussi noblement que les plus belles statues grecques. Ils surprendront, sur le vif, les mouvemens d’une humanité agile et vigoureuse ; comme les plus fins animaux, élégante comme les plus vieilles aristocraties. Ils entendront le cri de la joie et de la douleur héroïques, le sanglot misérable ou la jubilation grossière de l’esclave et du fellah !… Et s’ils ont peur d’oublier chez ces barbares le sens de la mesure et de la vérité antiques, qu’ils viennent, durant quelques jours, respirer l’air d’Olympie et écouter l’harmonieux conseil qui monte de ses ruines et de son fleuve arcadien ! J’en suis convaincu, de ces voyages et de ces méditations, il sortirait certainement autre chose que des fantaisies d’esthètes ou de lourds cauchemars de bibliothécaires !

La nuit descend sur l’Altis, les pins du Kronion ont perdu leur dorure, et les champs des ruines, l’Alphée, les montagnes et les bois, tout s’ensevelit lentement sous la montée des brumes. De la Porte des Processions, je ne distingue plus que les ondulations des décombres et les deux colonnes jumelles du temple d’Héra.

C’était l’heure où l’athlète olympionique venait rendre grâce de sa victoire, devant l’autel de Zeus. Escorté de ses amis, la couronne d’olivier sur la tête, il arrivait du stade par le couloir que j’aperçois de ma place. Il avait repris ses vêtemens habituels et, pour ne pas se refroidir, car il était encore en sueur, il avait jeté son manteau sur ses épaules. La petite troupe, poussant des acclamations, s’acheminait vers l’énorme brasier en