Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


I

D’abord, et c’est un point capital dans cette histoire des revenus privés, les grands avocats du moyen âge gagnaient des sommes infiniment moindres que les nôtres. Des ordonnances royales avaient fixé un maximum, — 2 400 francs par cause en 1274, 1 500 francs en 1344, — mais ce maximum, les honoraires étaient d’autant moins capables de l’excéder qu’ils eussent vainement prétendu l’atteindre[1]. Les plus favorisés restaient bien en deçà ; je n’en ai pas trouvé qui aient dépassé 1 000 francs, et il ne se rencontrait pas à ce taux peut-être une cause par an.

Les profits des « maîtres » renommés, aussi bien que ceux des moindres robins, étaient taxés par les tribunaux ; c’est encore une autre différence entre les avocats du présent et ceux du passé. Elle n’est pas à l’avantage de ces derniers, car, si elle nous permet de mieux connaître le fond de leur bourse, elle nous les montre aussi sous un jour peu favorable quant à la délicatesse professionnelle.


Advocatus et non latro,
Res miranda populo...


dit élogieusement l’hymne composé en l’honneur de saint Yves, le patron de la basoche. A coup sûr Yves de Kermartin ne fut pas le seul homme de loi des temps chevaleresques dont la probité n’ait pas été sujette à caution ; mais, à mesurer l’écart entre les demandes et les taxes, il semble que les avocats évaluaient leurs salaires, c’est-à-dire leurs consultations, leurs plaidoiries, leurs écritures et celles de leur clerc, avec une exagération manifeste.

Quand le juge du XIVe siècle ne réduit leurs mémoires que des deux tiers, c’est qu’ils ont été relativement très modérés. Le plus souvent, c’est le cinquième, le dixième et même le vingtième seulement de la somme prétendue par lui que le tribunal

  1. Je n’ai pas besoin de rappeler au lecteur que tous les chiffres, sans exception, contenus dans cet article sont des chiffres actuels. Ainsi, les 2 400 francs de 1274 sont la traduction de 30 livres tournois, dont la valeur intrinsèque est de 600 francs ; lesquels, multipliés par 4 pour avoir leur puissance d’achat en 1908, représentent. 2 400 francs de nos jours. Toutes les sommes anciennes, citées au cours des pages qui vont suivre, ont été préalablement converties de même.