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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/456

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Débitent, à grand bruit, sur de sales comptoirs
L’extase frelatée et les faux désespoirs,
Parmi tous les hoquets de l’orgie ordurière
Es-tu resté debout, la tête haute et fière,
Dans le devoir, dans le travail, dans la vertu ?
Tu nous l’avais si bien promis, t’en souviens-tu ?
Va-t’en, va-t’en ! Retourne aux bourbiers où se vautre
Ton Paris ! Tu ne vaux vraiment pas mieux qu’un autre.
Va-t’en et laisse-nous, dans notre isolement,
Tout résignés, attendre avec recueillement
Les meurtriers prochains dont la hache s’affile
Pour jeter bas en nous la splendeur inutile.
Croyant, les sots, avec l’âge et la majesté,
Tuer l’indestructible et divine Beauté ! »

Hélas ! c’était bien là ce qu’ils me pouvaient dire.
Et j’avais peur, marchant courbé, n’osant sourire.
Sous les taillis noueux prêts à me fustiger.
Vers l’auguste futaie où l’on m’allait juger.

J’avais peur, j’avais tort ! O nature indulgente.
Tu vaux bien mieux que nous, toi que l’on croit changeante
Parce que les saisons alternent tes couleurs :
Comme tu sais toujours compatir à nos pleurs !
Non, non, mes vieux amis n’ont point pris de colère.
Il m’a paru que, pour me fêter, au contraire,
Un murmure plus doux courait par les halliers
Et qu’eux, plus qu’autrefois, touffus, hospitaliers.
Ces arbres, auxquels l’âge ouvre en haut plus d’espaces.
Tandis que chaque hiver courbe nos têtes basses,
M’accueillaient, sourians sous leurs manteaux d’été,
Avec plus de tendresse et d’affabilité.
Des parfums inconnus s’exhalaient des feuillées,
Plus d’oiseaux y mêlaient des voix plus variées,
Comme si tous mes sens, que je croyais usés.
S’étaient, dans les combats de la vie, aiguisés.
Pour l’oreille et les yeux, partout, mille surprises :
Jamais, dans l’herbe drue, en ombres plus exquises.
Sous les chênes massifs et les plus dentelés.
Des tapis endormeurs ne s’étaient déroulés