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l’infériorité des nègres. Sans doute, on peut espérer d’adoucir la violence des répulsions, d’abolir l’odieux lynchage ; on peut combattre, comme l’a fait le président Roosevelt, cet autre préjugé plus sommaire qui empêche un Américain de recevoir à sa table un noir, même instruit, poli et distingué : le problème n’en gardera pas moins pour un long avenir toute son acuité.

Il n’est d’ailleurs qu’un cas particulier du problème général qui domine tout en Amérique, le problème de l’assimilation. Tant que les immigrans ont été, — ou à peu près, — de même race et de même formation sociale, politique et religieuse que les premiers colons de la Nouvelle-Angleterre, ils accroissaient le fond politique sans l’altérer. Anglo-Saxons, Germains, Scandinaves, les Celtes d’Irlande eux-mêmes, tout le contingent de l’Europe septentrionale et occidentale se prêta en somme assez docilement au sens général d’une civilisation d’origine analogue, qui s’élargissait et se modifiait sous cet apport. Mais voici qu’entre en scène un autre monde, l’Europe du Sud et de l’Est : Grecs, Italiens, Tchèques, Hongrois, Slaves, se déversent à flots dans le grand réservoir où s’alimente le colosse américain. La race jaune a pris position sur la côte du Pacifique, et les journaux nous apportent quotidiennement l’écho des difficultés entre les Etats-Unis et le Japon. Il se peut que, d’un instant à l’autre, ces difficultés s’enveniment. Nous comprenons que ce soit un grave souci pour le gouvernement. Mais l’avenir de la nation est-il en cause ? La puissance d’absorption a déjà donné sa mesure et attesté ce dont est capable la force de l’organisme primitif, soutenue par l’action combinée des élites. Rien ne semble donc devoir entraver un progrès qui ne reculerait pas, au besoin, devant des éliminations douloureuses.

Déjà nous pouvons voir où il s’oriente, et les désirs, les efforts du peuple américain nous manifestent, jusqu’à la rendre, en quelque sorte, perceptible à nos regards, la force même des choses, les lois inéluctables des sociétés, hors desquelles elles ne peuvent ni se constituer ni vivre. A mesure que nous aspirons à nous rajeunir et à lui ressembler, il se rapproche de nous. Les circonstances ont placé en fait et dès l’origine les Etats-Unis dans les conditions qui peuvent paraître à un théoricien de l’absolu le terme idéal de toute société. Le progrès, le mouvement de la vie consistent pour eux à les modifier insensiblement et ils rencontrent ainsi les phases principales de notre