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presse qu’en clôturant, en 1878, les travaux du Congrès de Berlin, le prince de Bismarck avait exprimé « le ferme espoir que l’entente de l’Europe, avec l’aide de Dieu, resterait durable, » en quoi on disait qu’il s’était trompé. Le prince de Bismarck était un trop grand réaliste pour croire qu’un traité pouvait survivre longtemps aux circonstances qui l’avaient fait naître, et il s’est expliqué à ce sujet bien des fois, avec la plus parfaite désinvolture. Déjà en 1888, dans le dernier grand discours qu’il a prononcé au Reichstag, dix ans après le Congrès de Berlin, il cherchait curieusement à prévoir à quel moment surviendrait une nouvelle crise orientale. Usant pour cela d’un procédé tout empirique, il constatait que ces crises s’étaient renouvelées dans le cours du siècle tous les vingt ans, ou même un peu plus, d’où il concluait qu’on pouvait s’attendre à en voir éclater une vers 1899. Le traité de Berlin a dépassé de huit ou neuf ans la durée que lui assignait son principal auteur : que peut-on lui demander de plus ?

Mais la manière dont il a été violé n’en reste pas moins sujette aux plus expresses réserves : nous employons, on le voit, un vocabulaire tout diplomatique. Qui se serait attendu à ce que le premier ébranlement fût l’œuvre de l’Autriche, qu’on regardait, au point de vue international, comme le pays classique de la conservation et de la correction ? Le caractère même de l’empereur François-Joseph, sans parler de son âge, semblait être une garantie pour l’Europe : elle était loin de croire qu’une perturbation révolutionnaire pouvait venir de son côté. Cependant, il y a quinze jours, nous avons dû noter, comme un symptôme dont il fallait déjà tenir compte, le ton plus que bienveillant du toast que l’Empereur avait adressé, à Pest, au prince Ferdinand de Bulgarie. Il y avait là un encouragement significatif. On a nié, depuis, qu’il y ait eu corrélation préétablie entre le geste autrichien et le geste bulgare, et on parviendrait peut-être à le prouver en jouant sur le sens des mots ; mais le sens des choses est parfaitement clair, et on peut dire qu’il saute aux yeux. Il est fort possible qu’on n’ait pas donné, à Vienne ou à Pest, un conseil formel au prince Ferdinand ; mais si on lui a laissé entendre que l’Autriche était résolue à s’annexer l’Herzégovine et la Bosnie, cela suffisait, cette suggestion indirecte devait immédiatement produire son effet. Personne n’ignorait que la Bulgarie était impatiente de faire un coup de main, et la petite principauté a dû éprouver une joie intense lorsqu’elle a appris que l’encouragement de l’exemple allait lui venir de si haut. Dès lors, qui aurait pu l’arrêter ? Il aurait fallu pour cela