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ennemis. L’ennemi extérieur servait d’arc-boutant à l’édifice impérial, élevé hâtivement, comme une tente, sur le champ de bataille. Pour tenir en haleine le sentiment national de l’unité, il fallait pouvoir montrer du doigt « le parti de l’étranger, » qui faisait contrefort à l’intérieur. On cessait de faire tenir ce rôle au Centre, et le parti socialiste ne faisait pas encore fonction d’épouvantail qui plane sur l’avenir. Les Polonais refusaient à propos de participer à l’enthousiasme général. Le chancelier de l’Empire engagea les foules indifférentes aux débats parlementaires dans une croisade vers les Marches de l’Est.

On n’était pas d’accord sur le choix des routes qui mèneraient au succès. Il était question d’aggraver les lois scolaires, de fonder en Posnanie et en Prusse occidentale des écoles allemandes d’agriculture et de commerce, de donner des encouragemens aux associations allemandes, d’expulser les Polonais qui n’étaient pas sujets prussiens. L’intérêt de l’opinion publique se concentra sur une proposition des nationaux libéraux : retour à la colonisation intérieure. Le 8 janvier 1886, le président du district de Bromberg, M. de Tiedemann, adressa au prince de Bismarck un Mémoire dans lequel il établissait que le gouvernement prussien pouvait tirer profit de la situation déplorable des propriétés polonaises. Il demandait dix millions pour exécuter son plan de germanisation de la Posnanie. « L’Etat, disait-il, pourrait maintenant acquérir des terres, soit par achat à l’amiable, soit dans les ventes judiciaires, à des prix qu’on ne verra peut-être plus jamais ; il pourrait, sans courir de grands risques, consolider son autorité et son influence politique par la création de beaucoup de domaines nouveaux ; il pourrait, en morcelant les biens achetés et en installant des paysans sur ces parcelles, donner une prépondérance durable aux Allemands de la province. » L’idée de colonisation ayant pris forme et corps séduisit le grand réaliste, car nul ne connaissait mieux que ce terrien le nombre et la nature des forces de résistance qui s’appuient sur la terre et qu’il faut déraciner pour les vaincre. Le 28 et le 29 janvier, Bismarck prononça deux grands discours qu’il est bon de relire si on veut se rendre un compte exact de ses ressources oratoires en face d’un adversaire qu’on ne peut réduire par les armes, et connaître tout ce qui vibre encore aujourd’hui de passions ataviques dans l’âme prussienne contre les Polonais.