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pacification de l’Orient le plus promptement possible. Pozzo en conclut que l’accord entre l’Angleterre et la France visait la Russie et que la politique russe était nécessairement appelée à compter avec ce fait positif.

Le comte était convaincu que ni le Roi, ni son ministre n’avaient conservé le moindre doute sur l’attitude éventuelle de la Russie dans le cas où une escadre française passerait les Dardanelles. Mais il eut lieu de remarquer, par les lettres reçues du prince Lieven, de Londres, que cette menace n’était pas appréciée à sa juste valeur par le Cabinet français. Aussi profita-t-il de sa première entrevue avec le duc de Broglie, le 7 mai, pour confirmer encore une fois la résolution de son gouvernement. Le ministre français écouta avec une certaine contrainte ses déclarations catégoriques et s’écria : « C’est donc une menace que vous venez me faire ? » L’ambassadeur contesta énergiquement le caractère attribué à ses paroles, qui constituaient simplement « un avertissement amical. » — « Eh bien ! » répliqua le duc de Broglie, « si l’honneur et l’intérêt de la France exigeaient que son escadre entrât dans les Dardanelles, elle s’y déciderait, nonobstant ce que vous venez de me dire… » L’ambassadeur ne contesta pas le droit du ministre français de décider à quel moment l’honneur et les intérêts de la France exigeraient l’entrée de l’escadre française dans la mer de Marmara ; mais il crut devoir en même temps réserver à la Russie celui de reconnaître cet acte comme contraire à son honneur et à ses intérêts à elle, et de prendre des mesures en conséquence. Le duc de Broglie lui répondit là-dessus : « Nous sommes dans ce sens sur un terrain égal. »

L’attitude du gouvernement français devait indisposer l’empereur Nicolas au plus haut degré. Il ne lui pardonnait pas l’intention de s’opposer de concert avec l’Angleterre aux vues de la politique russe à l’égard de la Porte. Les encourage mens donnés par Louis-Philippe au pacha d’Egypte insurgé indignaient l’Empereur. Lorsque le prince Orlof fut envoyé à Constantinople, Pozzo di Borgo reçut l’ordre de se borner à la déclaration que cette mission avait seulement pour but d’accélérer la conclusion de la paix entre le Sultan et le pacha d’Egypte. Le chargé d’affaires de France à Saint-Pétersbourg demanda au vice-chancelier quel était le terme fixé pour le départ des troupes et des bâtimens russes de Constantinople : il n’obtint aucune réponse.