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n’adoucissent point leur humour, et c’est au galop, avec l’impatience évidente de vous mettre dehors au plus vite, qu’ils vous font parcourir les nefs et les galeries de la prodigieuse basilique : corvée humiliante dont ils s’affranchiraient volontiers, s’ils n’y étaient contraints par les nécessités de la politique, et, — ils doivent bien le reconnaître aussi, — si cette corvée n’était, en somme, fort lucrative pour eux ! J’apprends d’ailleurs qu’aujourd’hui toutes les mosquées, sans exception, sont fermées aux Chrétiens[1], à moins qu’ils n’obtiennent, par l’entremise de leur ambassade, une permission spéciale et difficilement accordée. Le gouvernement turc justifie cette mesure par l’inconvenance fréquente des touristes. Il est bien possible que certains d’entre eux se conduisent en goujats et n’aient pas une tenue plus décente dans une mosquée que dans une église. Mais j’ai remarqué cent fois que toutes les marques extérieures de respect ne touchent pas davantage le piétisme musulman. Respectueux ou non, nous sommes des intrus dans ces lieux de prière. Le seul parti qui convienne, aux yeux du Croyant, c’est de nous en chasser.

S’il en est ainsi dans la capitale de l’Empire, — dans une ville où le frottement perpétuel avec l’Européen devrait amener une détente du fanatisme religieux, — on juge de ce qu’il en est dans les campagnes et dans les villes éloignées. Même au Caire, où l’Anglais est le maître, — dans le quartier d’El-Ahzar, la grande université de l’Islam méridional, — l’attitude des étudians, des boutiquiers et des gens du peuple est nettement hostile. Durant le séjour que j’y fis, la presse menait un beau tapage autour de l’aventure d’un conseiller britannique qui venait d’être vertement rossé par une bande d’énergumènes pour avoir essayé de franchir le grand portail de la mosquée. Et je me souviens, pour ma part, de l’accueil plutôt désobligeant que j’y rencontrai, non pas seulement parmi les pauvres diables en galabiehs qui, accroupis au pied d’une colonne, ânonnaient leurs leçons avec des mouvemens d’ours en cage, mais parmi des jeunes gens fort élégamment vêtus à l’européenne, dont on pouvait espérer au moins un peu plus de courtoisie. Ici, la réserve, la discrétion la mieux intentionnée ne servent à rien. Par crainte de blesser, d’éveiller des susceptibilités très ombrageuses,

  1. J’ignore si, depuis la Révolution, cette mesure a été rapportée.