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seul importe au politique vraiment épris du bien général. » Ah ! je le sais, que les répercussions économiques n’obéissent pas aux désirs des cœurs ! et je me flattais d’en avoir pris et donné acte en un raccourci énergique : « Voir tout de suite, voir tout près, voir réel. Contre les mauvais ennemis, contre les diables qui ensemencent le champ d’ivraie, contre l’imagination, le sentiment et la phrase, armons-nous du fait ; qu’il nous serve à percer le grand mirage des rêves, le grand brouillard des larmes et le grand mensonge des mots. Cuirassons-nous d’un réalisme, je n’ose dire impitoyable, — car qui bannirait la pitié, ne pouvant bannir la souffrance ? — mais, il le faut, imperturbable, et qui n’étouffe pas les battemens du cœur, et qui en reçoive les suggestions, mais qui, du moins, les compare toujours, et les confronte, et les conforme aux faits. » Le reste de la semonce ne s’adresse pas à nous ; ce n’est pas nous qui avons écrit que « la politique moderne a le devoir d’adoucir les maux qu’engendre la lutte entre individus et individus : c’est Canovas del Castillo. Celui-là pourtant était un vrai politique, épris du bien général autant qu’homme d’Etat l’ait jamais été, plus instruit de tous les problèmes sociaux qu’aucun homme d’Etat que j’aie connu, préoccupé, et forcé de l’être, du « possible » et du « comment, » et à qui personne n’a jamais songé à reprocher de vouloir plier rien ni lui-même « aux désirs des cœurs. »

Mais voici le fond de la querelle : « Pour savoir comment la politique peut adoucir la lutte, l’unique moyen est de constater les résultats déjà obtenus dans la voie qu’on préconise, et de les comparer avec ce qu’a réalisé l’initiative individuelle sous la pression de la concurrence et de la liberté. » D’abord, nous ne « préconisons aucune Voie ; » puis, nous sommes si persuadés que l’unique moyen d’être utile est « de constater les résultats, » que nous n’avons pas fait autre chose quant aux conditions du travail dans cinq ou six grandes industries ; et quant à ce qu’a « réalisé l’initiative individuelle sous la pression de la concurrence et de la liberté, » ou nous l’avons aussi déjà constaté au passage, ou cela viendra à son heure.

Néanmoins, dès maintenant, comme on comprend ce que parler veut dire, nous devons avertir honnêtement que nous n’avons pas du tout l’ambition de faire « un bon livre » d’économie politique. Non point que l’on dédaigne l’économie politique : bien au contraire, on la respecte infiniment. Mais enfin,