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d’esprits à laquelle il appartient le rattache à cette catégorie de jeunes hommes, tels qu’on en rencontre si souvent dans les romans de M. Bourget. La complexité de la vie moderne retentit dans leur conscience et y retentit douloureusement. Ils se replient sur eux-mêmes, ils se regardent penser, ils s’analysent, ils scrutent les motifs qu’ils ont d’agir. Ce travail critique affine et exaspère leur sensibilité. Ce qui achève de faire de Landri une âme tourmentée, c’est qu’il a beau avoir rejeté les préjugés de sa caste, il les retrouve au fond de son être où les y a déposés l’éducation. Il a beau les répudier aujourd’hui, ils ont jadis fait partie de lui-même. Il ne peut s’en détacher sans qu’il y ait déchirure. Il sent que la désapprobation de son entourage est sur lui, et comment n’en serait-il pas affligé ? Mais il ne se résigne pas. Au lieu de se laisser enlizer et d’attendre passivement la mort où le marquis accepte de s’ensevelir avec toute une caste, il fait effort pour se dégager, pour aller vers ce qui lui semble être le salut. Et ainsi il mène le drame. Le rôle du marquis est au centre de la pièce, sans doute, mais à la manière d’un bloc ; il est l’obstacle contre lequel se heurte pour en triompher la volonté agissante de Landri.

L’antagonisme que nous venons d’indiquer et qui couve depuis longtemps, éclate d’abord pour une question de mariage. Cela est dans l’ordre. Il est naturel et il est fréquent que l’amour mette le fils en révolte contre les siens, et l’amène à proclamer et à revendiquer son indépendance. Il n’y a d’ailleurs rien que de parfaitement honorable dans le goût qui porte Landri vers Mme Ollier, et l’amour qu’il éprouve pour elle est de la qualité la plus noble. Cette jeune femme n’est pas du tout une intrigante ; elle est la veuve d’un officier qui fut le camarade de Landri ; elle n’a accepté que provisoirement et dans un moment de crise la situation un peu subalterne qui est encore la sienne auprès des dames de Charlus. Elle est la première à déclarer que ce projet de mariage est absurde et quasiment coupable. On voit alors comment peut se poser la question, et quelles seront ici les deux thèses en présence. Landri aime ; celle qu’il aime et dont il est aimé est irréprochable ; pourquoi ne l’épouserait-il pas ? C’est pour lui qu’il se marie, pour assurer son propre bonheur et pour fonder un foyer qui soit à son gré. Telle est la thèse individualiste. À ce raisonnement le marquis en oppose un autre, qui met au-dessus du bonheur de l’individu les intérêts de la famille. L’homme qui porte un grand nom doit le léguer intact, comme il l’a reçu. Dépositaire d’une tradition, il n’est pas libre de se refuser à la