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Pascal estimait que la vérité n’est pas toujours simple. La plus féconde de toutes ses pensées sera qu’il y a trois ordres de choses : la chair, l’esprit, la volonté, — et deux ordres de connaissances : la connaissance intellectuelle et celle qui s’obtient par l’amour. Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre et ses royaumes ne valent pas le moindre des esprits. Tous les esprits ensemble ne valent pas et ne sauraient produire le moindre mouvement de charité. De la connaissance par l’esprit on ne passe pas logiquement à la connaissance par le cœur ; mais, sans les enchaîner d’un lien logique, on peut librement les unir, et leur union apporte une certitude, une assurance plus complète et plus ferme que celle où l’on arrive par l’un ou par l’autre mode suivi uniquement. « La plupart des grandes certitudes que nous avons, écrit Filleau de la Chaise, ne sont fondées que sur un fort petit nombre de preuves qui, séparées, ne sont pas infaillibles, et qui pourtant, dans certaines circonstances, se fortifient tellement par l’addition de l’une à l’autre, qu’il y en a plus qu’il n’en faut pour condamner d’extravagance quiconque y résisterait…. » Et encore : « Quoiqu’on ne pût peut-être démontrer dans la rigueur de la géométrie qu’aucune de ces preuves en particulier soit indubitable, elles ont néanmoins une telle force, étant assemblées, qu’elles convainquent tout autrement que ce que les géomètres appellent démonstration… »

Voilà la méthode de Pascal : c’est celle du « faisceau, » dont chaque brin est fragile et facile à rompre, et dont l’ensemble est invincible ; c’est la certitude cherchée dans le concours de toutes les probabilités. Mais, dans ce concert harmonieux de la vérité, il y a un ordre hiérarchique, et la haute valeur de l’amour, par rapport à la connaissance rationnelle et scientifique, demeure « infiniment infinie. »


De même que les dix premières Provinciales sont une comédie à personnages, suivie de lettres d’un autre style, où l’auteur passant à des discours directs s’élève au sommet de l’éloquence, il y aurait eu, suivant M. Strowski, deux grandes divisions dans l’Apologie : d’abord, une histoire d’âme, sous forme de lettres et de dialogues, « le plus beau roman du XVIIe siècle, » quelque chose d’analogue aux Confessions de saint Augustin[1],

  1. D’analogue, ajoute M. Strowski, à En route de Huysmans. L’ingénieux critique revient vraiment un peu trop sur la ressemblance de Pascal avec Durtal. Cela fait l’effet d’une profanation. Il ne fallait pas rapprocher et mêler deux « ordres » si différens et si distans.