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Nous sommes dans un cas de légitime défense ; par conséquent, la mesure proposée n’est pas contraire à la Constitution. D’après l’article 4, tous les citoyens prussiens sont égaux devant les lois ; mais les Polonais sont rebelles aux lois. Par l’article 9, l’Etat doit protection à la propriété ; mais comment protégera-t-il la propriété s’il ne peut se protéger lui-même ? D’ailleurs, la propriété de la province ne doit pas être traitée selon le droit général de l’Allemagne. C’est une province frontière menacée ; elle doit être soumise à des lois d’exception qui relèvent de la politique extérieure. Cette question n’est pas du domaine du droit ; elle est du domaine de l’économie politique[1]. On crie au socialisme d’Etat. Certainement, ce projet de loi porte une grave atteinte à la propriété, mais le bien de l’État est au-dessus de l’intérêt particulier. Il n’entraînera ni une révolution, ni la ruine de tous les principes du droit dans un pays où règne une active mutation de biens. Rodbertus a démontré, en 1869, que, tous les dix ou onze ans, en moyenne, l’ensemble des « Rittergütter » prussiens changeait de mains. Le sol de la Prusse a une superficie de 36 millions d’hectares ; 70 000 hectares expropriés ne font pas 2 hectares par mille. Assurément, s’il ne s’agissait pas d’une grande affaire nationale, toutes les considérations du droit privé seraient justifiées ; mais si le gouvernement et les fonctionnaires de la Commission de colonisation engagent dans cette affaire l’avenir de la patrie, il faut s’en remettre à leur responsabilité et à leur compétence. Dans le monde, aucune grande réforme ne se fait sans que les juristes protestent. Que n’ont pas dit, de 1809 à 1850, les défenseurs féodaux de l’ancien régime, contre la réforme agraire prussienne entreprise par les Stein, les Hardenberg et leurs successeurs[2] ! On disserte sur la notlion de « bien public. » Il est impossible d’expliquer avec des phrases juridiques ce qu’est le bien public. Dans le cas posé, le gouvernement affirme que le bien public exige l’expropriation. On objecte la morale. Elle doit céder devant le bien de l’Etat, qui est, en politique, le vrai point de vue moral[3]. On parle toujours des droits du meunier de Sans-Souci qui furent respectés

  1. Chambre des députés, Stenog. Ber, 30 novembre 1007, p. 154 (ministre de la Justice).
  2. Chambre des seigneurs, Stenog. Ber., 27 février 1908, p. 86 (professeur Schmoller).
  3. Bericht der IX Kommission, p. 62.