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les consistoires, les titulaires des quatre grandes charges de cour, les familles comtales, la propriété ancienne et fixée. Cette dernière catégorie seule compte 90 membres. La Chambre des seigneurs, dans l’esprit du roi Frédéric-Guillaume IV qui l’institua, devait marquer la situation privilégiée du grand propriétaire dans un État agraire, et, jusqu’à présent, elle avait exprimé la prépotence terrienne en Prusse. Dans le cas posé, elle devait donc être d’autant plus accessible aux sentimens de justice que la terre était en cause. Si la Chambre des seigneurs vote l’expropriation, disait-on, elle abdique ses traditions, met la cognée à ses propres racines, creuse sa propre tombe.

Devant sa résistance, si solidement étayée, le gouvernement rassembla toutes les raisons de détail en une seule : la raison nationale. Le maréchal comte de Hæseler vint à la tribune donner sa parole brève et cinglante, qu’elle n’était qu’un mauvais prétexte. Chose digne de remarque, ce fut le soldat qui opposa des « raisons de sentiment » à la violence des commis ; le glorieux survivant de l’époque héroïque, ayant pris une part active à la formation de l’unité de la patrie, s’éleva contre une mesure qui la divisait de nouveau et distinguait les Prussiens qui parlent allemand de ceux qui parlent polonais. Il refusa de se battre contre un « adversaire sans armes[1]. » Cependant, le 28 février, la loi fut votée par 143 voix contre 111. Si le prince de Bülow pesa les voix après les avoir comptées, cette opération inusitée dut mitiger sa joie du triomphe. Dans la minorité figuraient, avec les bourgmestres de l’Est et les hommes qui, comme le cardinal Kopp, s’étaient faits les avocats éloquens de la morale, de la justice et du droit, des princes et grands seigneurs qu’il est malaisé de soupçonner de tiédeur patriotique, parmi lesquels le duc Ernest Gunther de Sleswig-Holstein, beau-frère de l’Empereur.

Le vote de la loi d’expropriation comporte quelques courtes réflexions. En premier lieu, le gouvernement prussien peut faire appel au « sentiment national ; » à tout moment et sous n’importe quel prétexte, il sera toujours entendu et suivi par la majorité des représentans du pays, et soutenu par une presse d’un « chauvinisme effroyable[2]. »

En second lieu, il est un épisode important de l’ancienne querelle

  1. Chambre des seigneurs, Stenog. Ber., 26 février 1908, p. 64.
  2. Chambre des députés, Stenog. Ber., 16 janvier, p. 664 (comte Praschma).