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pleurer avec vous une personne que vous aimiez tant et dont vous ne m’aviez jamais parlé, ce qui est pour moi une chose inconcevable. Pardonnez-moi une lettre que je vous ai écrite tout dernièrement : je ne vous croyais pas malheureux. Rendez-moi la justice de penser que si j’avais eu la plus petite idée du chagrin où vous êtes, je n’eus[se] jamais pu écrire ainsi ; et si vous pouvez penser à autre chose en ce moment qu’à la perte que peut-être vous avez faite, pensez que si vous m’en aviez parlé auparavant, je n’aurais pas écrit ainsi non plus. Mais je veux croire que vous aviez quelques raisons que vous trouviez bonnes, car il m’est impossible à moi de trouver bon le manque de confiance ; mais je ne vous accuse pas ; votre dernière lettre m’a fait tant de peine que j’avais en la lisant tout à fait oublié combien j’avais été offensée, et je vous supplie de me pardonner si je vous ai blessé dans ma dernière lettre. Si le malheur que vous craignez n’est pas encore arrivé, ma dernière lettre vous fera bien mal. Oubliez-la, je vous en supplie ! Je ne sais que vous dire, rien n’est absurde comme les consolations quand on souffre. Je ne veux point vous en tourmenter. Mai» songez combien je vous aime, combien je partage votre douleur. Hélas ! je suis si loin ; je ferai mon possible pour retourner plus tôt que je n’avais pensé. Je vous en supplie, écrivez-moi tout de suite, seulement quelques lignes s’il vous est pénible d’écrire longuement, pour me dire comment vous êtes et que je ne vous ai point fait de peine, ou, si je vous en ai fait, que cette lettre-ci me fera pardonner. J’ai bien, bien besoin de vous voir, de causer avec vous. Ecrire m’ennuie, je ne sais que dire, car si je disais tout ce que je dirais de vive voix, ce serait trop long, et comme parler est un plaisir et écrire une peine, il se trouve que mes pensées s’envolent quand il faut souffrir une opération douloureuse pour les exprimer, et reviennent en foule dès que l’opération cesse. Votre lettre m’attriste et me tracasse, je ne puis souffrir de vous savoir malheureux et loin de moi, et personne pour vous dorloter. Je n’aime pas que vous souffriez ; vous n’en avez nullement besoin, vous êtes tout douceur, tout résignation ; la douleur m’a fait beaucoup de bien, à moi ; j’en avais grand besoin pour me faire valoir quelque chose et j’avais assez d’énergie et d’esprits animaux pour en perdre la moitié et qu’il m’en reste. Mais vous, mon pauvre ange, qui êtes si triste, si tendre, vous avez besoin de bonheur pour vous remonter.