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tement disposerait à son gré. Ce projet, adopté une première fois par la Chambre, remanié et voté au Sénat, reviendra sans tarder à l’ordre du jour de la Chambre.

En attendant, la marine et l’artillerie coloniale s’ignorent réciproquement. La Commission de Gâvres est le seul organe de liaison entre le constructeur et l’utilisateur. Marins et artilleurs y discutent, non pas dans le vide, mais sur le vif, en présence de données expérimentales. Cette collaboration intime offre de précieux avantages, malgré la prédominance excessive de l’artillerie : sur 17 membres titulaires, la Commission compte 11 artilleurs et 1 ingénieur contre 5 marins. Et pourtant, les utilisateurs devraient avoir le dernier mot, dans ces questions de matériel. Si nous n’avions pas perdu de vue cette grande vérité, nous aurions des lunettes de visée depuis quinze ans[1], et, sans doute aussi, la flotte serait munie du genre de projectiles que réclament les officiers de vaisseau. En général, les marins préfèrent les obus en acier, à grande charge d’explosif, contrairement aux artilleurs, atteints, pour la plupart, de la manie de la perforation. De quoi s’agit-il, en somme ? Non point tant de couler l’adversaire, que de le mettre hors de combat. Cela étant, ne vaut-il pas mieux démoraliser l’ennemi par le fracas d’explosions précipitées, l’envelopper d’une nappe de flammes à très haute température et de nuages de gaz délétères, asphyxier les servans dans les tourelles, et même les chauffeurs dans les fonds du navire ? Car alors, au lieu d’air frais, les ventilateurs n’envoient plus en bas que des gaz irrespirables.

La question des poudres est un sujet inépuisable. D’abord, une cloison étanche se dresse entre le service fabricant et l’artillerie navale. Celle-ci fixe les conditions balistiques à remplir. Puis, les poudriers soumettent leurs manipulations aux règles surannées qui régissent la construction des bateaux sous-marins. Les règlemens interdisent à tout officier de marine de pénétrer dans un chantier où se perpètre la construction d’un sous-marin. De même, paraît-il, un artilleur naval ne peut suivre les

  1. La question du tir optique, résolue en 1878 par le capitaine de frégate Bonin de Fraysseix, permit d’exécuter des tirs avec 60 pour 100 de coups au but, au lieu de 4 pour 100. Après six mois d’expériences, une commission conclut à l’adoption de la hausse optique. Mais, par suite d’une incurie inqualifiable et coutumière, la marine n’a rendu cet appareil réglementaire que beaucoup plus tard, à la suite des excellens résultats que les Japonais obtinrent contre les Russes, à l’aide d’un dispositif similaire.