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tirer parti. Bernadotte, qui allait partir pour passer la revue de troupes russes réunies à Strélitz sous les ordres de Woronzoff et de Tchernicheff, rendait hommage à la valeur de ces soldats, à celle de leurs chefs, à la belle tenue des premiers, à l’habileté des seconds. Il se plaignait du défaut d’instruction des troupes hanovriennes ; mais c’était un défaut auquel on pouvait remédier et, en tout cas, les armées de Russie comme celles de Prusse ne laissaient rien à désirer. Quant à l’armée suédoise, il en répondait[1]. Voilà quelles forces pouvaient être employées avec avantage contre Napoléon. C’était aussi l’avis de Moreau. Mais, en tout cela, il n’était pas question du corps de prisonniers français qu’il avait eu l’idée de former pour en prendre le commandement, et s’il en entretint Bernadotte, il dut commencer à entrevoir qu’il aurait beaucoup de peine à faire adopter ce projet, en raison des difficultés pratiques qu’il présentait et des défiances qu’il excitait.

Ainsi s’entretenaient Bernadotte et Moreau quand ils étaient seuls sous le toit où le prince royal recevait son ancien camarade ou lorsque, assis dans la même voiture, ils visitaient les forts de Stralsund. Mais ces conversations confidentielles étaient brèves ; on leur en laissait rarement la liberté. Moreau était assailli ; tout le monde voulait le voir ; dans les rues, le peuple se pressait sur son passage et l’acclamait. Le soir, la foule se groupait autour du palais où Bernadotte tenait sa cour. Les étrangers, qui se trouvaient alors en grand nombre à Stralsund, généraux, diplomates, fonctionnaires, émigrés français étaient invités et formaient le cercle autour du vainqueur de Hohenlinden, sur lequel la coalition fondait maintenant de si grandes espérances. Seul à ne pas porter d’uniforme, simplement vêtu d’un frac, n’ayant ni cordons, ni décorations, il affectait « au milieu de ces Excellences » un air modeste et négligé, « rougissait au moindre mot d’éloge. » Lui demandait-on s’il allait prendre le commandement de l’armée russe : « Je ne veux rien commander, répliquait-il ; je dirai ce que je sais, et s’ils veulent, il sera battu. » El faisant allusion aux résultats de la politique révolutionnaire, dont il avait paru être le partisan lorsqu’il commandait les armées de la République, il ajoutait : Nous

  1. Nous reconstituons ce résumé d’entretien d’après une lettre écrite, le 9 août, par Bernadotte à l’empereur Alexandre et d’après une autre qu’envoyait à Londres un émigré français qui se trouvait à Stralsund en même temps que Moreau.