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plus tard, écrit à sa femme à Londres : « On m’a fait donner dans un guêpier. » Nous ne pouvons ni l’affirmer, ni le nier. Mais cette plainte, à supposer qu’il l’ait formuée, n’était pas fondée. Bien qu’il eût, il est vrai, envoyé d’Amérique à l’empereur de Russie et à Bernadotte, son projet relatif aux prisonniers, aucune réponse ne lui était encore parvenue, quand il s’embarqua pour l’Europe, et sa faute consistait justement à n’avoir pas exigé cette réponse avant de partir. Comme elle eût été probablement négative, il aurait pu réfléchir, envisager les conséquences de ce refus, et sans doute, en constatant l’impossibilité de s’assurer le commandement d’un corps de Français, il eût renoncé à ce funeste voyage. Il ne pouvait donc s’en prendre qu’à lui-même de la désillusion qu’il éprouva à son arrivée en Suède ; il ne lui appartenait pas d’en accuser personne, car personne ne l’avait trompé, ni vouIu le tromper.

Du reste, lorsque le 10 août, suivi de Rapatel et de Svinine[1], il se sépara de Bernadotte pour se rendre à Prague où le tsar Alexandre l’attendait, son visage témoignait de sa sérénité, et ses propos de sa confiance. L’avant-veille, Bernadotte avait écrit au Tsar : « Le général Moreau, mon ancien frère d’armes et mon ami particulier, se rend auprès de Votre Majesté Impériale et de Sa Majesté le roi de Prusse. Cet officier général, célèbre autant par ses vertus et ses talens que par les persécutions que sa gloire militaire lui a attirées, aura, j’espère, le bonheur d’être utile à Votre Majesté et à la cause pour laquelle Elle fait de si grands efforts. »

L’itinéraire de Moreau le faisait passer par Oranienbourg, Berlin, Olaw et Kœnigratz. À ces diverses étapes de sa route, il fut reçu avec les mêmes égards qu’à Stralsund. Les chefs de corps, les officiers russes, prussiens, suédois, les Anglais qui se trouvaient au milieu d’eux, se portaient à sa rencontre, le comblaient d’éloges, provoquaient ses réflexions, ses remarques ou même ses critiques sur les opérations de Napoléon, dont il blâmait « la tactique furibonde. »

« Il ne remporte ses victoires qu’à coups d’hommes, disait-il ; les batailles qu’il livre ne sont plus que des boucheries. »

A Berlin, sa présence excita « une espèce d’enthousiasme » qui se manifesta par l’empressement de la foule à le saluer

  1. Svinine avait été chargé à New-York de pourvoir à tous les frais du voyage de Moreau.