Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/659

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trop ; mais si cela se pouvait, il serait le premier à ne pas le vouloir. Du reste, qui lui demanderait s’il le veut et ce qu’il veut ? Parfois, dans les plus grandes entreprises, exploitées en société anonyme, il ne connaît pas, il n’a jamais vu le patron. Une des pires difficultés du régime nouveau vient de là. Trop souvent, dans la grande industrie, entre le patron, société anonyme, entre le directeur même et les ouvriers, il n’y a pas prise de contact. Or, s’il arrive que des personnes que la vie lie ensemble de gré ou de force ne s’entendent point lorsqu’elles se parlent, il est impossible qu’elles s’entendent lorsqu’elles ne se parlent pas. Voilà longtemps qu’un fin et fort politique a noté qu’il était plus facile de mettre les hommes d’accord sur leurs intérêts que sur leurs sentimens. Le vice d’organisation dont souffre le régime nouveau du travail consiste justement en ce qu’il substitue des sentimens aux intérêts, ou tout au moins qu’il superpose aux intérêts des sentimens, qui ne peuvent guère être bons. Chaque jour on a l’air de faire cette curieuse découverte que de peuple à peuple il n’est rien de tel pour entretenir des relations tolérables que d’entrer d’abord en relations : que ne le fait-on d’homme à homme, et de classe à classe, puisqu’il y a des classes, à l’intérieur d’un même peuple ! La grande industrie, dans l’Etat moderne, est donc responsable de ses propres maux, dans la mesure où elle est maîtresse de ses conditions et n’en est pas elle-même victime. Nous ne dirons pas de cette espèce d’absentéisme industriel du régime nouveau ce que le marquis de Mirabeau disait, vers la tin de l’ancien régime, de l’absentéisme agraire : « Personne ne connaissant plus le seigneur dans ses terres, tout le monde le pille, et c’est bien fait. » Non, certes ; mais, personne ne connaissant plus le patron dans son usine, tout le monde se détache de lui, et c’est fatal. Personne ne s’attache plus à personne : le « maître » ne fait plus d"« élèves ; » l’ouvrier ne forme plus d’» apprentis ;» le résultat en est que rien ne tient à rien. Ou mieux, l’association, en tant qu’elle est inévitable, se fait dans le nouveau régime autrement que dans l’ancien : non plus du patron à l’ouvrier, mais du patron au patron (ou au banquier), et de l’ouvrier à l’ouvrier ; non plus du capital au travail, mais du capital au capital, et du travail au travail : un et un, deux et deux, non plus un et deux.

A l’intérieur de chaque groupe, ouvrier ou patronal, elle est, de par les conditions de l’industrie, à peu près forcée : elle sort