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elle-même. Mieux vaudrait dire que sur cette crise la Révolution, en elle-même, a beaucoup moins agi qu’on ne le croirait, sinon comme cause occasionnelle, comme explosion, comme coup de rupture. Presque tous les élémens en étaient préparés d’avance, ou se sont rassemblés en dehors d’elle. Elle n’aurait pas eu lieu, que, vraisemblablement, la crise ne s’en serait pas moins produite (les réformes de Turgot en sont une indication), si, précisément, tous ces élémens accumulés eussent pu ne pas produire la Révolution. De toute façon, parler de la crise de l’Etat moderne implique qu’on embrasse la crise dans l’ensemble de ses causes et de son développement ; parler d’un État pré-révolutionnaire et post-révolutionnaire implique donc qu’on veut dire à la fois pré-mécanique, pré-encyclopédique, pré-concentré, d’une part, et, d’autre part, post-mécanique, post-encyclopédique, post-concentré. Dans ses effets, en tant qu’on peut la rattacher à la double révolution que nous avons subie ou que nous subissons, et pour la période entièrement écoulée qui fait dès maintenant matière d’histoire, cette crise a jusqu’ici tendu, économiquement, du monopole à la concurrence des capitaux et des bras, de la corporation à l’association, du travail isolé au travail groupé, de la petite industrie à la grande, ou plutôt de l’industrie dispersée à l’industrie concentrée ; politiquement, du privilège à la liberté (au moins théorique), de l’Etat de divers états à l’État égalitaire (au moins en droit) ; et, puisque la formule est acceptée, du type féodal au type industriel ; avec cette observation et sous cette réserve qu’à en juger d’après certains, symptômes, le type industriel lui-même retourne peu à peu au type militaire, et que, s’il n’y a plus d’ordres dans l’Etat, il y reste des classes, ou du moins deux classes, dont l’une ne cache pas son dessein de supprimer l’autre.

Je n’insiste pas pour l’instant sur les observations qui précèdent, bien qu’elles aient dès à présent leur intérêt et même leur importance, parce que j’aurai l’occasion d’y revenir longuement lorsque je montrerai, en étudiant « les circonstances du travail, » la transformation survenue dans la condition sociale des ouvriers. M’en tenant à ce qui fait le sujet de cette introduction, — explications et définitions, — je m’en sers seulement pour expliquer et définir mon titre : la Crise de l’État moderne. Par « la crise, » j’entends non pas un accident violent ou simplement subit, rapide et éphémère, — comme on dit, par exemple,