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de préparer sa fuite et d’obéir à l’appel pressant qu’ils lui adressaient au nom du peuple tout entier, terrorisé par les pillages et les exécutions. Il apparaissait à tous comme le seul capable de rallier les timides et les hésitans, de faire cesser l’anarchie, l’injustice et la tyrannie en chassant l’usurpateur. Dès ce moment, Myngoon se déclara prétendant au trône birman. Il notifia sa qualité d’héritier légitime au gouvernement indien et fit prévenir ses fidèles de se tenir prêts à tout événement.

Il songeait à rentrer en Birmanie par un débarquement inopiné sur les côtes d’Arrakan ; mais il devait, pour réussir, traverser une partie de l’Inde, fréter un bateau à Calcutta, quitter ce port sans donner l’éveil. Certain d’être arrêté par les autorités anglaises s’il était reconnu, il comprit que l’exécution de ce programme laissait une part trop grande au hasard. Après en avoir longuement conféré avec son frère, il adopta un nouveau projet qui faisait honneur à sa perspicacité. Il connaissait l’antagonisme séculaire de l’Angleterre et de la France, que nos aspirations coloniales récentes allaient raviver. Les négociations laborieuses causées par les affaires d’Egypte, par l’expédition de Tunisie, mais surtout le problème des Zônes d’influence qui commençait à se poser en Indo-Chine, faisaient prévoir un conflit[1]. Myngoon devina qu’il augmenterait ses chances de succès s’il pouvait obtenir dans ses revendications l’appui officiel ou secret, mais efficace, du gouvernement français. Chandernagor était, dans ces conditions, la première étape obligatoire sur la route de Mandalé. Il résolut de l’atteindre sans délai.

La vente des pierres précieuses que lui envoyaient, en guise de subsides, ses fidèles de Birmanie l’avait mis en relation avec plusieurs Indiens parsis, qui l’exploitaient d’ailleurs avec leur traditionnelle avidité. L’un d’eux cependant lui avait plu par la modération relative de ses exigences et sa haine raisonnée des conquérans anglais. Le prince n’hésita pas à se confiera lui, car il avait besoin de son concours pour la classique substitution de personnages employée dans plusieurs évasions célèbres, et sa confiance ne fut pas déçue. Un matin, l’Indien, accompagné d’un coolie choisi pour sa vague ressemblance avec le prétendant, arrivait chez Myngoon qui l’avait fait mander ostensiblement, afin de traiter d’une vente de pierres précieuses reçues depuis peu ; le

  1. Voir pour les détails historiques de cette époque l’ouvrage bien documenté de M. Philippe Lehault, la France et l’Angleterre en Asie.