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Myngoon connut alors la gêne. Sa pension était insuffisante pour l’entretien d’un nombreux personnel que sa bonté l’empêchait de diminuer ; il fut obligé de vendre peu à penses derniers bijoux et ses dernières pierreries pour payer les intérêts usuraires des prêts que lui consentaient les chettys ; parfois même il dut solliciter du gouvernement une avance de quelques centaines de piastres pour satisfaire ses créanciers ; ses fils, qui grandissaient, suivaient en qualité d’externes les cours du collège Taberd, et rien ne les distinguait de leurs condisciples qu’un simple turban jaune, insigne de leur rang. Dans ce changement de fortune, il conserva intacte sa dignité ; il ne fit pas entendre ses doléances et ses récriminations, mais il écouta plus volontiers les conseils d’action que lui donnait depuis quelques mois un jeune officier d’infanterie de marine, le lieutenant I...., en garnison à Saigon.

Les circonstances étaient d’ailleurs favorables : la guerre des Afridis avait commencé ; l’on prévoyait celle du Transvaal ; le chemin de fer projeté de Kunlôn Ferry inquiétait les princes chans ; les émissaires de Birmanie se montraient plus pressans et plus impérieux. On étudia donc le plan d’un soulèvement auquel Myngoon devait donner son nom et sa personne, mais qui aurait une direction française dans l’exécution. Les enquêtes contradictoires faites soigneusement dans le pays avaient donné des conclusions encourageantes. Les concours éventuels qu’on s’était assurés permettaient de résoudre le problème du ravitaillement des armes et des munitions ; la date, la région et la nature des premières opérations étaient choisies de manière à donner confiance aux insurgés par des succès partiels sur les troupes anglaises placées dans l’impossibilité de circuler et de combattre ; l’organisation et l’instruction ultérieures de gros effectifs pour une lutte sérieuse et des combats décisifs étaient prévues ; les deux fils aînés du prétendant étaient sommairement préparés au rôle de collaborateurs militaires et politiques des chefs de l’insurrection.

Pendant ces conférences où l’on jouait sa couronne et sa vie, Myngoon était plein d’une superbe confiance. Il n’accordait qu’une médiocre valeur à la tactique particulière dont son ami lui montrait la nécessité ; dans son langage imagé il affirmait que chaque arbre, chaque rocher produirait un fusil dès qu’il frapperait du pied le sol de son pays. Mais cette condition était