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exécuter sa mission avec plus de zèle que d’intelligence et donner ce jour-là, pour toujours peut-être, la Birmanie aux Anglais.

Heureusement pour Myngoon et son conseiller, M. Doumer arrivait à Saïgon. Le nouveau Gouverneur Général était trop intelligent pour approuver les mesures de rigueur qu’on lui proposait. Après avoir interrogé lui-même l’instigateur du complot, il décida que l’affaire n’aurait de conséquences désagréables pour personne. Myngoon, dont on avait projeté l’internement à Poulo-Condor, vit même s’améliorer singulièrement sa situation. Sa pension fut augmentée par de généreuses allocations du budget général ; M. Doumer, qui l’avait pris en affection et qui, par deux fois, emmena ses fils en France, lui fit aménager une confortable résidence à Hanoï où le prince alla désormais passer l’hiver avec sa famille pour échapper aux fâcheuses influences d’un séjour trop prolongé à Saïgon.

Depuis cette époque, sauf pendant la guerre du Transvaal où les Boers n’osèrent pas souscrire au traité d’alliance qu’on leur présenta, le prince n’a plus tenté la fortune. Malgré ses soixante-quatre ans, les angoisses et les fatigues d’une existence si agitée, il a conservé une extraordinaire vivacité d’esprit et une vigueur physique étonnante. Entouré de ses trois fils, il attend maintenant avec résignation et confiance l’époque des grandes convulsions politiques de l’Asie dont il observe les préliminaires avec sagacité. Les progrès menaçans du Svadéçisme dans l’Inde, à défaut d’une assistance française dont l’improbabilité lui est aujourd’hui démontrée, suffiraient d’ailleurs à le soutenir dans ses illusions ou ses espérances. Il sait qu’au moment favorable ses fidèles Birmans obéiront à son appel ou à ceux du représentant de sa dynastie : la foi monarchique est tenace en Asie où les familles royales déchues conservent, même après des siècles, de zélés partisans[1].


Pierre Khorat.
  1. Par exemple, la famille « les Ming en Chine, dépossédée au XVIIe siècle : celle des Lê en Annam, chassée par les Nguyén à la fin du XVIIIe siècle : celle des rois de Vien Chan, détrônée par les Siamois en 1828.