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discours pleins de mesure, de bon sens, d’esprit pratique et pacifique. M. Asquith le faisait, il y a quelques jours, au banquet du lord-maire ; sir Edward Grey vient de le faire à son tour à Scarnborough. Lun et l’autre ont parlé de la situation extérieure avec la plus grande élévation de pensée et de paroles, et on se prend à espérer, après les avoir entendus, que tout s’arrangera dans le monde, que les négociations qui se poursuivent en Orient aboutiront, que la Conférence se réunira bientôt et qu’elle trouvera son travail tout fait. Puisse-t-il en être ainsi ! Malheureusement les dernières nouvelles d’Orient ne présentent pas les choses sous un jour aussi favorable. Des bruits inquiétans commencent même à circuler. Nous n’en parlerons pas aujourd’hui parce que tout cela est encore confus, et que nous aimons mieux nous inspirer de l’optimisme de sir E. Grey, qui a dit à Scarnborough : « Je pense souvent que, si nous étions moins enclins à soupçonner des desseins ou des motifs profonds, les affaires du monde progresseraient plus paisiblement. » quoi qu’il en soit, pendant que les ministres anglais tiennent ce langage prudent, circonspect, apaisant, la Chambre des lords s’abandonne à des préoccupations militaires d’un caractère assez différent. Lord Roberts, le plus glorieux représentant de l’armée britannique, a déposé devant la Chambre haute une motion dont voici le texte : « La défense du Royaume-Uni exige, outre une puissante marine, l’établissement d’une armée si forte quant au nombre, si efficace quant à la valeur, que la nation étrangère la plus formidable puisse hésiter à tenter une invasion. » De plus, lord Roberts a demandé que le gouvernement fit une déclaration dans le sens de sa motion et communiquât au Parlement les décisions prises à ce propos par le Comité de défense nationale. Hâtons-nous de dire qu’il n’a pas insisté sur cette seconde proposition et qu’il l’a même retirée : il aurait été, en effet, difficile au gouvernement d’y donner satisfaction. Mais, sur sa motion, lord Roberts a été beaucoup plus insistant, et il a obtenu que la Chambre des lords la votât à la majorité de 74 voix contre 32, malgré l’opposition du gouvernement et même de lord Lansdowne, qui jugeaient cette manifestation peu opportune.

Est-il exact qu’une invasion subite de l’Angleterre par une armée étrangère soit actuellement réalisable ? À cette question, la plus grave qu’un Anglais puisse poser, lord Roberts n’a pas hésité à répondre oui. Il estime qu’avec les moyens dont elle dispose, l’Allemagne pourrait tenter cette audacieuse aventure et y réussir.