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aux grandes fêtes ? Le Roi était « niais » en religion. Il ne l’était pas pour le reste, s’empressait d’ajouter Madame, mais, en religion, il l’était extraordinairement. Il l’avait toujours été, et il l’était devenu plus encore, depuis qu’il était gouverné par Mme de Maintenon.

Pourquoi, par exemple, attacher une importance quelconque à ce qu’on soit catholique plutôt que luthérien ou calviniste ? C’est une pure manie. Madame racontait à ce sujet sa célèbre anecdote de « l’Anglais : » « — Il s’appelait Fielding. Un jour, Wendt[1]lui demande : — Etes-vous huguenot, monsieur[2]. — Non, dit-il. — Vous êtes donc catholique ? — Encore moins. — — Ah ! dit Wendt, c’est que vous êtes luthérien ! — Point du tout. — Et qu’êtes-vous donc ! — Je m’en vais vous le dire, repartit l’Anglais ; j’ai un petit religion à part moi. — Je crois, ajoutait Madame, que j’aurai bientôt, moi aussi, un petit religion à part moi. » C’était déjà fait, si toutefois le déisme nébuleux de Madame peut encore s’appeler « un petit religion, » et la cour de France n’en ignorait point. Dans ses lettres à ses sœurs, qu’elle scandalisait par son impiété, Madame s’essayait quelquefois, pour les consoler et les rassurer, à parler, elle aussi, le patois de Chanaan et à raisonner sur la grâce et le péché ; mais elle ne se mettait pas en frais de bonnes paroles pour des Français ; aussi passait-elle chez nous pour une franche libertine. Un jour qu’elle avait fait en public une violente sortie contre les « calotins » du haut clergé, Mme de Maintenon, devenue à cette époque une mère de l’Eglise, écrivit au maréchal de Noailles : « On m’avait appris l’emportement de Madame sur les évêques dévots, et effectivement, c’est un grand abus de mettre dans de pareilles places des gens qui croient en Dieu. Mais, mon cher duc, nous sommes tombés dans cet inconvénient, et il faut prendre patience[3]. »

En résumé, la religion n’était pour Madame ni une discipline, ni un soutien, mais uniquement un rite machinal, héritage des ancêtres, et elle devait cet état d’esprit à sa famille d’Allemagne. D’autres, à sa place, ayant trouvé le ciel vide, se seraient réfugiées dans la maternité. Son instinct ne l’y portait pas. Ce ne

  1. Du 13 septembre 1690, à la duchesse Sophie. Wendt était grand maître de la maison de Madame. C’était un Allemand ; il avait été son page à Heidelberg.
  2. Les mots en italique sont en français dans l’original.
  3. Du 12 septembre 1695. Correspondance générale de Mme de Maintenon, IV, 20.