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l’autre, si l’Europe n’intervient pas pour dresser un État indigène en face de la descente autrichienne, comme elle a dressé, en 1878, la Bulgarie en face de la poussée russe.

L’annexion de la Bosnie a été, parmi les Serbes, le signal d’un mouvement spontané, unanime. Les Autrichiens tirent argument contre nous, disent encore les Serbes, des démêlés récens de la Serbie et du Monténégro ; mais il ne faut pas s’y tromper : les divisions sont le fait des princes, l’union vient des peuples. En face du danger ils l’ont imposée sans difficulté ; ils ont marché et les dynasties ont suivi ; elles ont compris la force de toute une nation qui vibre à l’unisson d’un même sentiment. A la Skoupchtina serbe, où les querelles de partis étaient si acharnées et si stériles, une dignité, un calme jusqu’alors inconnus ont succédé aux folles agitations des jours passés ; une imposante unanimité s’est faite chaque fois qu’il s’est agi des grands intérêts de la patrie. On a senti passer sur la Serbie cette émotion solennelle, religieuse, qui sort de l’âme profonde des peuples aux heures décisives de leur existence.

Ce que nous demandons, ce ne sont pas des « compensations. » Ce mot, dans l’affolement des premiers jours, le Cabinet de Belgrade l’a prononcé dans sa note aux puissances, mais il n’y était pas à sa place : car si la Bosnie-Herzégovine doit rester incorporée à l’Autriche-Hongrie, ce sera pour nous une catastrophe nationale qu’aucune « compensation » ne pourrait atténuer. Nous demandons, avec confiance, à l’Europe que, du moins, elle nous assure le moyen de vivre en communiquant librement avec le Monténégro et avec la mer ; une bande de territoire qui relierait les deux pays par la haute vallée de la Drina aurait, pour l’Europe, l’avantage de fermer la porte de la mer Egée, cette route du sandjak que le traité de Berlin a ouverte devant la poussée autrichienne. Quant à nos frères de Bosnie, s’il nous faut rester séparés d’eux, nous demandons qu’ils ne soient pas traités en peuple conquis, mais qu’ils reçoivent promptement une organisation libérale et assez autonome pour qu’ils puissent développer en paix, à l’abri du drapeau des Habsbourg, leur civilisation originale et nationale. Si l’Europe nous refuse toute satisfaction, nous ferons la guerre : nous résisterons pied à pied, dans nos montagnes, derrière nos rochers, jusqu’à ce que tombe le dernier homme ou jusqu’à ce que les nations, émues de notre sacrifice, ou fatiguées d’une