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chevalier de Lorraine. Il promettait l’Ordre du Saint-Esprit à cet immonde personnage et à son frère, M. le Grand. En échange, le chevalier de Lorraine « répondait du consentement de Monsieur au mariage, et des moyens d’y faire venir Madame et M. le Duc de Chartres[1]. » Le Roi paya d’avance ; la promotion de l’Ordre eut lieu le 31 décembre de la même année. Il fallut attendre pour les noces que les deux enfans eussent grandi.

Madame avait eu vent de quelque chose. Elle profita d’une occasion sûre pour s’en ouvrir à sa tante Sophie : « (Saint-Cloud, le 14 avril 1688)… On m’a dit en confidence les vraies raisons pour lesquelles le Roi traite si bien le chevalier de Lorraine et le marquis d’Effiat ; c’est qu’ils lui ont promis d’amener Monsieur à prier humblement le Roi de marier les enfans de la Montespan avec les miens, savoir ma fille avec ce boiteux de duc du Maine, et mon fils avec Mlle de Blois. La Maintenon, dans cette circonstance, est tout à fait pour la Montespan, car c’est elle qui a élevé ces bâtards-là, et elle aime ce vilain boiteux comme s’il était son enfant… »

Tout, dans ce projet, blessait profondément Madame ; tout lui était odieux : « Le duc du Maine ne serait pas l’enfant d’un double adultère, il serait un prince légitime, que je n’en voudrais pas pour gendre, non plus que de sa sœur pour bru, car il est horriblement laid et boiteux, et il a encore d’autres défauts ; il est avare en diable, et n’a pas une bonne nature. Sa sœur, elle, a bon caractère, mais elle est effroyablement malsaine, et sa vue est si faible, qu’elle finira, je crois, par devenir aveugle. Ajoutez à cela qu’ils sont nés d’un double adultère, comme je vous l’ai déjà dit, et de la femme la plus méchante et la plus mauvaise que la terre ait portée. Je laisse à penser à Votre Dilection combien je dois désirer ce mariage… Toutes les fois que j’aperçois ces bâtards, cela me fait tourner le sang. Je laisse à penser à ma tante bien-aimée ce que je souffre de voir mon fils unique et ma fille unique victimes de mes plus cruels ennemis… » Madame s’alarmait à tort pour sa fille ; M. le Prince se réservait le duc du Maine pour l’une des siennes ; mais elle n’avait que trop raison en ce qui regardait son fils.

Vers le jour de l’an de 1692, le Roi et Mme de Maintenon, qui n’avaient jamais perdu leur dessein de vue, jugèrent le moment

  1. Saint-Simon, loc. cit., p. 61.