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Vienne et Constantinople, Vienne et le Quirinal, il est vraisemblable que les ambassadeurs de Guillaume II travaillent dans le sens de la paix et de la conciliation. Il n’est pas sans intérêt de constater qu’ils se rencontrent, dans ce rôle, avec les nôtres. Quand l’Europe apprit l’annexion de la Bosnie et la proclamation de l’indépendance bulgare, l’opinion italienne s’émut. Toute modification de l’équilibre Adriatique alarme directement les intérêts et les ambitions du royaume. Avec le Monténégro il est lié par des alliances dynastiques ; avec la Serbie il entretient des relations d’amitié et il travaille à faire aboutir le projet de chemin de fer du Danube à l’Adriatique. M. Tittoni se hâta de rassurer l’opinion : dans son entrevue avec M. d’Æhrenthal à Salzbourg, le 4 septembre, il avait été averti de ce qui allait se passer ; l’Italie n’avait pas à s’alarmer ; elle aurait sa part. Mais quand on sut que les satisfactions obtenues consistaient dans l’abrogation de l’article 29 du traité de Berlin concernant Antivari qui intéresse surtout le Monténégro, ce fut, dans le public, une déception d’autant plus vive que, soit en Tripolitaine, soit en Albanie, les Italiens ont des vues sur certains morceaux de l’Empire ottoman. Nos voisins ont compris à temps que l’heure n’était pas à une politique de « compensations ; » mais il est resté, dans l’opinion publique, le sentiment d’une déconvenue qui a ravivé les vieilles passions anti-autrichiennes et qui s’est traduit, dans la rue, par les violentes manifestations de Rome et, au Parlement, par le discours de M. Fortis.

A ne regarder que le texte du traité de Berlin, il semblerait que la Turquie surtout, et même que la Turquie seule, eût subi un dommage du fait de l’Autriche et du fait de la Bulgarie. En réalité, il en va tout autrement. La Turquie, pratiquement, n’a pas perdu de territoire. La Bosnie-Herzégovine, aussi bien que la Bulgarie et la Roumélie orientale lui avaient échappé depuis longtemps sans espoir de retour. Au contraire, elle recouvre la pleine possession du sandjak de Novi-Bazar sur lequel pesaient de lourdes hypothèques autrichiennes. Cet abandon des droits de l’Autriche est de nature à consoler les « Jeunes-Turcs » de l’échec moral qu’ils ont subi par le fait que leur succès a été le signal d’un démembrement nouveau de l’Empire ; s’ils n’avaient pas mérité les sympathies de l’Europe, l’Autriche ne se serait pas mise en peine de leur donner dès l’abord une satisfaction. La liquidation du passé était la première des opérations qui