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poursuivait : « Vous savez que ma folie est de vouloir faire entendre raison ; je vous assure que je le voudrais encore plus pour Madame dont vous m’avez dit tant de bien et qui a des qualités qui pourraient la rendre plus heureuse. Est-il possible que, ne pouvant éviter ce mariage, elle ne le fera pas de bonne grâce, qu’elle ne s’expliquera pas avec le Roi, qu’elle ne se mettra pas dans une bonne intelligence avec lui, et qu’elle aimera autant demeurer comme elle est ? » Ainsi, Mme de Maintenon avait poussé le Roi à un acte parfaitement impopulaire, parfaitement impolitique au point de vue monarchique, pour le plaisir de procurer une place de 8 000 francs à une amie qui la dédaigna. C’était d’un esprit médiocre, qui envisageait les choses par leurs petits côtés. En revanche, le ton amical de la lettre, à l’égard d’une personne qui ne cessait de la vilipender, part d’un bon naturel : la « vieille ordure » n’était pas vindicative.

La duchesse Sophie gronda Liselotte, qui, cette fois encore, nia effrontément : « On a mal renseigné Votre Dilection en lui disant que je m’étais conduite comme un enfant à l’occasion du mariage. Je ne suis malheureusement plus d’âge à faire l’enfant[1]… » Il y a des gens qui oublient ce qu’ils ont dit et fait dans la colère ; Madame aurait-elle été du nombre ?

Les noces furent célébrées le 18 février, et laissèrent après elles comme un vent de mauvaise humeur : « Si encore il n’y avait que le mariage, écrivait Madame, j’en prendrais mon parti ; mais il m’arrive tous les jours tant de choses désagréables et j’ai si peu de consolations, qu’il n’y a pas moyen de ne pas être triste[2]. » Elle était tout particulièrement excitée contre sa bru, qui ne sentait pas comme elle l’aurait dû l’honneur d’être Duchesse de Chartres, et se permettait de le prendre de haut avec sa nouvelle famille. « Quand on pense, disait Madame, que ça n’est qu’une crotte de souris[3] ! » Un autre jour, elle traçait de verve ce portrait, digne de la main d’une belle-mère : « La femme de mon fils est une désagréable et méchante créature, qui ne s’inquiète pas de mon fils et méprise Monsieur, comme si elle était une personne importante. Elle ne fait rien contre moi, mais elle me montre une horrible indifférence, ne parle jamais devant moi de ce qu’elle fait, et est souvent quinze jours

  1. Du 21 février 1692.
  2. Lettre du 21 février 1692, à Mme de Harling.
  3. Du 7 août 1692, à la duchesse Sophie.