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populaire dans son pays, où on lui est reconnaissant d’avoir aimé passionnément l’Allemagne et de n’avoir aimé qu’elle, ne pouvaient point ne pas irriter le roi de France contre la mauvaise amie, la belle-sœur déloyale, qui s’empressait, dans les heures sombres du règne, de trompeter au dehors que le trésor était vide et le pays épuisé. Madame ne le comprit jamais, — c’est du reste son excuse, — de sorte que sa haine pour Mme de Maintenon s’exaspérait d’année en année. Ses griefs personnels se compliquaient du dégoût que lui inspirait la cour de France nouvelle manière, œuvre de la favorite.

Celle-ci caressait le rêve de ramener la société française, avec l’aide et à l’exemple du Roi, à une piété solide et pratiquante. Les directeurs spirituels de Mme de Maintenon l’encourageaient dans la pensée que Dieu l’avait choisie pour être l’instrument du salut d’un grand prince, et pour l’intéresser aux âmes de ses sujets. Une coterie dévote approuvait son dessein. Le reste, y compris bien des gens qui s’estimaient bons catholiques, rechignait à se laisser régenter par une ancienne gouvernante ; mais on n’osait pas le laisser voir.

Mme de Maintenon s’était mise à la besogne à la mort de Marie-Thérèse (30 juillet 1683), et les débuts avaient passé ses espérances. Deux mois n’étaient pas écoulés qu’elle écrivait triomphalement à son bohème de frère, Charles d’Aubigné : « Je crois que la Reine a demandé à Dieu la conversion de toute la Cour ; celle du Roi est admirable, et les dames qui en paraissaient les plus éloignées ne partent plus des églises[1]. » Le Journal de Dangeau contint désormais à toutes les grandes fêtes une note en ce genre : « Le Roi fut presque toute la journée à la chapelle. » En 1686, à Noël, il relevait de maladie ; on lui avait fait « la grande opération, » il avait énormément souffert et ne sortait pas encore. Il assista néanmoins aux « trois messes de minuit » « et à une partie de matines, » puis, dans la journée de Noël, à trois autres messes, au sermon, aux vêpres et au salut[2]. Cela faisait bien des choses pour un homme dont ce n’était pas le métier. Madame trouvait que c’était trop ; que les princes ont mieux à faire que d’être « quatre ou cinq heures » en oraison ; et elle enrageait, car l’étiquette obligeait la famille

  1. Correspondance générale, II, 324. Lettre du 28 septembre 1683.
  2. Cf. Dangeau et Correspondance générale, III, 54, lettre de Mme de Maintenon à Mme de Brinon.