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pourquoi a-t-il amené son amie à regretter d’avoir été trop bonne pour lui ? Il ose dire qu’il ne connaît pas la cause de la rupture. C’est là une banalité ou un mensonge. Il sait trop à quoi s’en tenir. Il se plaint qu’on lui ait montré un chemin ouvert et facile pour le lui fermer ensuite. Pourquoi n’a-t-il pas suivi les indications qu’on lui donnait ? Il ne se serait pas trompé de route s’il avait écouté la voix aimée. Il parle avec amertume des dangers de la navigation sur les eaux de l’amour. Mais comment un amoureux pourrait-il avoir la prétention de naviguer dans ces parages lorsqu’il ne sait tenir ni sa langue ni sa plume ? Qu’il n’accuse donc pas les autres de ses malheurs ! Qu’il ne s’en prenne qu’à lui ! Lui seul est le vrai coupable.

D’accord avec les aveux, faits plus tard à plusieurs reprises par le Tasse, voilà le véritable grief de la maison d’Este. Il est venu un moment où le poète a trop et mal parlé des princes et des princesses qu’il avait célébrés si souvent dans ses vers, auxquels il a dédié la Jérusalem délivrée, il les a méconnus dans un jour de colère, il a prononcé contre eux des paroles irréparables. M. Angelo de Gubernatis croit que, mêlé de trop près aux intrigues de la Cour, confident peut-être involontaire de beaucoup de secrets, il a fait au public des confidences fâcheuses et révélé entre autres ses relations avec Eléonore. C’est possible, mais ce n’est pas certain. On sait d’une manière absolue, puisqu’il le répète lui-même à satiété, que le Tasse a tenu le langage le plus injurieux pour ses protecteurs ; mais on ignore absolument ce qu’il a dit, sur quel sujet ont porté ses reproches et ses invectives. L’implacable critique, poussant jusqu’au bout les conjectures malveillantes laisse entendre que la chaste Léonore, dont la légende fait presque une sainte, dont les poètes chantent la pureté virginale, est fort suspecte d’avoir eu des enfans sans se marier. Dans une lettre que nous possédons, le cardinal, son frère, lui donne en effet le conseil de ménager son crédit et celui de ses descendans. Pour tout lecteur non prévenu, le cardinal ne veut pas dire qu’au moment où il écrit sa sœur soit déjà mère. Il indique seulement une éventualité possible, puisqu’elle est encore en âge de se marier. M. Angelo de Gubernatis ne l’entend pas ainsi ; il veut absolument qu’elle ait eu des enfans. C’est même, suivant lui, la raison pour laquelle elle a défendu qu’on fit l’autopsie de son corps quand