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AU COUCHANT DE LA MONARCHIE.

à sa mère[1], mais elle a toujours l’air de tomber des nues. Elle restera quelquefois des mois sans ouvrir la bouche, et je ne l’ai pas encore vue de face. » Madame Louise enfin, la plus jeune, âme pure et bien intentionnée, n’avait cependant pas, en renonçant au monde, renoncé du même coup à tout esprit d’ambition et d’intrigue. On l’accusait d’abuser volontiers des privilèges d’un état révéré pour se mêler des choses du siècle, pour blâmer, conseiller, solliciter surtout, et se faire l’instrument de la coterie dévote. « Depuis son entrée aux Carmélites, écrit l’abbé de Vermond, elle ne cesse de fatiguer les ministres. »

Lors du mariage de leur neveu, l’arrivée à Versailles d’une archiduchesse de quinze ans, étrangère à la Cour et en tous points novice, avait éveillé chez Mesdames l’humeur accaparante qui sommeillait au fond de leurs cœurs racornis. Elles s’étaient efforcées, avec un visible empressement, d’attirer la Dauphine dans leur société familière, de façonner à leur image sa jeune inexpérience, d’acquérir ainsi du crédit auprès du futur Roi. Ce manège avait eu d’abord quelque succès, mais l’intimité dura peu ; les petites « cachotteries » des tantes, leurs menées souterraines et leur ton maladroit de supériorité indisposèrent la nièce et l’amenèrent à secouer cette tutelle incommode. On devine quelles rancunes suscita cette brusque retraite. Les années ne firent qu’aggraver l’antipathie née d’une déception réciproque et fondée sur une différence foncière d’idées, de goûts et d’habitudes. « Si les manières de la Dauphine paraissaient trop libres à Mesdames, les leurs paraissaient absolument gothiques à la Dauphine. D’un côté, l’on blâma trop, de l’autre on n’écouta pas assez[2]. »

Les choses en étaient là, quand survint le changement de règne, excitant, chez les vieilles princesses, comme un renouveau d’espérance. Reprendraient-elles sur le couple royal l’influence abolie ? Quelle serait sur l’âme molle d’un prince adolescent, dans le désarroi des débuts, l’autorité de ces vénérables personnes, de celle surtout qui se targuait d’exercer sur son cœur un empire quasi maternel ? C’est le problème qui faisait le sujet de tous les entretiens, à Versailles, à Paris, dans toutes les capitales, le problème qu’un prochain avenir allait provisoirement résoudre.

  1. Lettre du 14 février 1710. Correspondance publiée par d’Arneth.
  2. Réflexions historiques sur Marie-Antoinette, par le Comte de Provence. Passim.