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Bibliothèque Nationale en 1870. Nous connaissons actuellement soixante-seize de ces ouvrages[1], et quelques-uns d’entre eux, comme le César, le Quinte-Curce sont particulièrement précieux à cause des annotations manuscrites dont Montaigne les a enrichis, ou, comme il disait, « barbouillés. »

Mais le guide le plus sûr, le mieux informé, et le plus loquace, que nous ayons pour nous conduire dans la « librairie » de Montaigne, c’est encore Montaigne lui-même. On sait de combien de citations il a « farci » son livre. Toutes ces citations sont autant d’aveux de lectures : il s’agit de les recueillir, d’en établir l’exacte origine, et, en se reportant aux textes mêmes, de voir dans le détail le parti que Montaigne en a tiré. D’autre part, sur ses lectures comme sur tout le reste, Montaigne n’est point avare de confidences : il est tel livre qu’il ne cite jamais, mais qu’il a certainement lu, lui-même nous le déclare formellement, soit dans ses Essais, soit dans le Journal de ses voyages[2], à moins encore qu’il ne se contente d’y faire une rapide allusion en passant : autant d’indications dont il y a lieu de faire son profit. Enfin, il est des ouvrages que Montaigne, à première vue, ne semble pas avoir utilisés, au moins expressément, et qu’il ne mentionne même pas, — par exemple les Discours de La Noue, — mais qu’il a presque sûrement lus, et dont il s’est probablement inspiré en telle ou telle occasion. De ces ouvrages-là, il convient de n’allonger la liste qu’avec une extrême prudence, et de réserver à l’avenir, aux hasards d’une lecture imprévue le soin de préciser nos conjectures ; encore est-il bon de maintenir qu’il y a, en pareille matière, des conjectures permises, et, pourvu qu’on ne les transforme pas en certitudes absolues, des probabilités à faire valoir[3].

  1. Cf. Paul Bonnefon, la Bibliothèque de Montaigne, dans la Revue d’histoire littéraire de la France du 15 juillet 1895. Voyez aussi les deux savans et intéressans volumes que le même auteur a publiés, ou réédités plutôt, sous le titre de Montaigne et ses amis, 2 vol. in-16 ; A. Colin, 1898.
  2. Le Journal de Voyage de Montaigne a été réédité excellemment, avec une introduction et des notes, par M. Louis Lautrey (Hachette, 1906).
  3. Je suis, par exemple, un peu étonné de voir que, dans la liste des lectures certaines, ou probables, ou même simplement possibles de Montaigne, M. Villey n’ait fait figurer aucun ouvrage de Calvin. Quoi ! l’Institution chrétienne elle-même, en latin ou en français, n’aurait jamais été lue par l’auteur des Essais ! Est-ce vraisemblable ? J’avoue, n’ayant pas relu parallèlement les deux ouvrages, n’apporter aucun texte à l’appui de cette opinion ; mais je serais bien surpris que l’Institution ne se trouvât point « parmi cette milliasse de petits livrets » dont parle Montaigne, et « que, dit-il, ceux de la religion prétendue réformée font courir pour la défense de leur cause, qui partent parfois de bonne main, et qu’il est grand dommage n’être embesognés à meilleur sujet. » L’Institution n’est assurément point un « petit livret. » Mais si Montaigne a lu quelques-unes de ces « apologies, » puisqu’il les estime « de bonne main, » comment n’aurait-il pas lu celle qui pouvait le dispenser de lire toutes les autres ? — J’aurais voulu aussi que M. Villey se demandât si Montaigne avait lu, oui ou non, et de plus ou moins près, l’Imitation de Jésus-Christ.