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un homme de génie, un conquérant, — un Méhemet Ali ou un Napoléon ! Ah ! pourquoi Napoléon ne s’est-il pas converti à l’Islam, comme il en avait, paraît-il, le désir ? On aurait fait ensemble de grandes choses ! L’histoire aurait été retournée !…

Or ces beaux songes, ils ne hantent pas seulement les prophètes et les visionnaires de la Jeune-Egypte ou de la Jeune-Turquie. Les écoliers eux-mêmes s’y laissent bercer. Un professeur du Caire me contait que ses élèves, d’habitude somnolens lorsqu’il les entretient de l’histoire de l’Europe, se réveillent soudain, lorsqu’il aborde celle de Napoléon. Ils le pressent de questions, ils sont avides de détails, ils considèrent le général corse comme un des leurs, comme l’aventurier génial qui eût réalisé, s’il l’eût voulu, la chimère impérialiste, dont ils sont toujours épris dans le secret de leurs cœurs.

Malheureusement, ils n’oublient qu’une chose, c’est que ces trois cents millions de Musulmans, — leurs frères, leur alliés de demain, — sont noyés, un peu partout, dans des flots de populations hétérodoxes et très supérieures en nombre. Ne parlons pas de l’Inde et de la Chine où leur infériorité numérique est trop évidente. Mais dans l’Empire ottoman lui-même, ils ne représentent, d’après les statistiques les plus récentes, que la moitié de la population totale. L’Egypte, plus homogène, compte encore un neuvième de dissidens. En réalité, ces territoires sans profondeur du vieil Empire d’Orient n’ont jamais été que des lieux de passage et de trafic, des diversoria, où les peuples se rencontrent sans se mêler jamais. Et que le Maître vînt de la Perse, de la Macédoine, de l’Italie ou de la Tartarie, il a toujours fallu une autorité étrangère pour y maintenir un peu d’ordre entre tant de races et de religions diverses, réfractaires les unes aux autres et irréductibles. Quoi qu’on affirme pour pallier les difficultés de la tâche, cette diversité ethnique reste encore aujourd’hui le grand obstacle, non pas même aux ambitions panislamistes, mais à l’entreprise plus modeste de susciter des nationalités égyptiennes ou ottomanes.


IV

Malgré tout, les projets et les rêves du Jeune-Islam ont une grandeur qui commande le respect et, de loin, un air de