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chemins qu’il n’a pu parcourir lui-même tout entiers. Par la création du poème symphonique, il a préparé une renaissance de la symphonie qui peut-être commence à peine. Il l’a affranchie des formes classiques d’écriture, de composition, d’instrumentation. L’armant de ressources illimitées, il l’a rendue capable d’un contenu plus déterminé. La Faust-Symphonie est le chef-d’œuvre de Liszt, et c’est un chef-d’œuvre. Ces fautes de goût et ces faiblesses, qui interdisent à la plupart de ses ouvrages la beauté durable, y sont moins nombreuses et plus légères. Dans sa production inégale, si imposante pourtant, presque seule elle brave le temps, avec la grande Sonate dédiée à Schumann.

Celle-ci n’est pas moins régénératrice dans sa forme. Et n’y entendez-vous pas encore l’humanité se soulever de toute sa pensée, de tout son amour et de tout son rêve contre la médiocrité de la vie ?

Mais, au contraire de Beethoven, Liszt refuse à son effort la capacité de vaincre. La Sonate en si mineur est parmi les très rares grandes œuvres musicales, dont la fin pessimiste résiste à cette impulsion souveraine qui porte la musique à s’achever dans la lumière. La Faust-Symphonie, en réalité, arrive aux mêmes conclusions. L’apothéose mystique qui la termine semble postiche. On y peut bien reconnaître la céleste pluie de roses qui bâillonne Méphistophélès, et la glorification de l’Éternel Féminin — n’est-il pas, dans Gœthe même, bien loin, bien oublié, à la fin du Second Faust ? — et l’action de Faust définitivement pacifiée ; mais que tout cela est hâtif, et sonne creux ! C’est bien au démon que le futur abbé Liszt a laissé le dernier mot.

Des trois parties de sa symphonie, la première, consacrée à Faust, est la moins saisissante. Il faut considérer que le personnage se complète dans les deux autres. Et si l’on peut discuter, par endroits, la valeur des idées sur lesquelles le morceau est construit, ce sont du moins de ces idées qui ont comme un visage. Sous l’éclat changeant des rythmes, des harmonies, des sonorités, leurs combinaisons, leurs dislocations, leur évolution évoquent les mouvemens contrastés dont cette âme osée et vite lasse s’est elle-même constituée, à l’écart de la vie réelle. Quatre de ces thèmes ont une importance capitale. Le premier, en progressions tortueuses d’intervalles difficiles qu’attirent les profondeurs, annonce de graves méditations ; par opposition immédiate,