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l’annexion d’une terre française, fit à la France une blessure inguérissable : les deux nations ennemies s’annihileraient ainsi, s’useraient l’une l’autre dans une hostilité sans trêve, pour le plus grand profit des spectateurs. Pour arrêter la Russie sur le chemin de Byzance, Disraeli, en 1878, lie partie avec Bismarck ; par crainte de la descente slave vers les routes de l’Inde, l’Angleterre, au Congrès de Berlin, introduit l’Allemagne dans la Méditerranée. C’est le temps où Bismarck se félicitait, dans les termes que nous venons de rappeler, qu’il n’y eût entre l’Allemagne et l’Angleterre aucun conflit d’intérêts. Les deux familles royales étaient unies par les liens de parenté les plus étroits : une fille de la reine Victoria allait monter sur le trône impérial allemand. Rien ne faisait prévoir qu’une concorde, qui paraissait si favorable aux intérêts des deux pays, pût être jamais ébranlée. Ces temps de bonne entente et de collaboration politique ne sont plus aujourd’hui que de l’histoire, mais cette histoire est encore très proche de nous ; elle a laissé des souvenirs, des regrets qui se sont souvent traduits par des tentatives de rapprochement et d’accord.

On a souvent comparé le peuple anglais, dans son île, à l’équipage d’un navire : il a un sens naturel de la discipline, un instinct social très sûr, qu’il doit aux conditions géographiques et économiques où il vit, et grâce auxquels il sait faire face, avec une admirable union, à tout péril national ; les Anglais, aux heures de crise, pensent et agissent ensemble, comme poussés par un mystérieux mot d’ordre, et ils pensent et agissent d’accord avec leur gouvernement. Mais leur sécurité d’insulaires, leur sens pratique de marchands ne s’alarment qu’en face du péril immédiat ; ils ne prévoient guère le danger du lendemain. On pouvait prédire, dès 1870, qu’un Empire, forgé à coups de victoires et constitué par la conquête, ne renoncerait pas à l’expansion et porterait sur d’autres terrains son activité stimulée par le succès. Les Anglais n’eurent l’idée d’un péril allemand que le jour où il fut trop tard pour le prévenir.

L’année 1878 et le Congrès de Berlin marquent la dernière conquête, l’apogée de la politique bismarckienne ; à partir de ce moment, en Europe, elle devient défensive, conservatrice ; elle fonde la Triple-Alliance, c’est-à-dire un syndicat de garantie réciproque des avantages obtenus au traité de Francfort et au traité de Berlin. L’activité allemande ne trouvant plus en