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Mais toute coalition pourrait lui être funeste ; elle le prévoit et elle a adopté le principe du two powers standard : sa marine de guerre doit toujours être supérieure de 10 pour 100 à la coalition des deux marines les plus fortes. Mais cet accroissement de la flotte sera-t-il indéfiniment possible ? Si l’on peut toujours construire de nouveaux bateaux, le moment ne viendra-t-il pas où manqueront les matelots ? Et d’ailleurs, même à égalité de forces, ne faut-il pas compter avec les accidens, avec le hasard des batailles ou le génie d’un adversaire ?

De l’ensemble de cette situation résulte, pour la politique anglaise, la nécessité d’être toujours active, toujours prête à faire face de tous les côtés, en évitant cependant de courir les risques qu’une guerre entraîne avec elle. Il est plus prudent et plus sûr de prévenir toute coalition, d’arrêter l’essor de toute marine rivale que de la combattre. La force de l’Angleterre, c’est d’abord l’opinion qu’on en a, c’est le respect qu’elle inspire, les amitiés qu’elle acquiert, les concours qu’elle achète. « L’Empire repose tout entier sur le prestige, disait lord Rosebery aux Lords en février 1900 : le jour où le prestige sera entamé vous serez enfermés dans ces îles dont l’une au moins vous hait ; alors la haine accumulée de nos ennemis, chaque jour plus nombreux, s’abattra sur nos têtes. »

La fortune économique de l’Allemagne et celle de l’Angleterre n’ont ni les mêmes origines ni le même caractère ; l’expansion, dans l’un et dans l’autre pays, ne répond ni aux mêmes conceptions ni aux mêmes nécessités ; et cette diversité de nature contribue à rendre le conflit plus aigu, et plus irréductible le malentendu. Pour tout Anglais, la définition chère à M. Joseph Chamberlain est l’expression même de la vérité : « l’Empire, c’est le commerce. » L’Empire, c’est la condition même de la vie de la métropole. La prépondérance maritime, the sea power, telle que le capitaine américain Mahan l’a définie, et telle que les impérialistes anglais la conçoivent, n’a rien qui rappelle la conception romaine ou médiévale de l’Empire ; elle consiste dans la suprématie des flottes et dans la supériorité économique. Cette conception utilitaire se colore pourtant d’une nuance d’idéalisme : l’Anglais est persuadé que sa domination est bienfaisante et libérale, que c’est un bonheur pour les peuples de vivre sous son ombre et qu’un décret providentiel lui a assigné la mission de gouverner et de civiliser le monde.