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gouvernemens modernes ne le peut ; ceux qui paraissent les plus solides sont parfois le plus vite balayés ; les longs espoirs et les vastes pensées sont interdits, aujourd’hui, même aux monarques. Démocratie, socialisme, nationalisme, représentent, sous des formes et sous des noms divers, la poussée des foules qui inquiète les minorités gouvernantes et possédantes. Les forces souveraines de notre temps sont les démocraties et l’argent. Or les affaires ont besoin de la paix ; et quant aux démocraties, elles sont pacifiques, parce que ce sont elles-mêmes qui se battent, jusqu’au moment où elles aperçoivent clairement, unanimement, que leurs grands intérêts vitaux sont menacés, ou jusqu’à ce que leurs passions profondes entrent en action ; alors elles s’élancent à la guerre, et ces guerres sont les plus terribles de toutes. Les luttes économiques actuelles n’ont pas encore atteint ce degré d’intensité, de nécessité, qui en fait sortir la guerre.

En Angleterre, la fraction la plus ardente de l’opinion ne se cache pas de souhaiter une guerre avec l’Allemagne : détruire la flotte, saisir les colonies, ruiner la concurrence allemande, imposer une limitation des arméniens sur mer, voilà les bénéfices qu’elle en attend. Mais l’Angleterre est précisément la moins démocratique des nations européennes ; elle est menée par des aristocraties ; aristocratie de race, aristocratie d’argent, aristocratie ouvrière des trade-unions ; elle est la seule en Europe qui n’ait pas une organisation militaire démocratique, puisqu’elle n’a pas la conscription, qu’elle ne peut mettre sur pied qu’une petite armée de métier, et que ses matelots eux-mêmes sont recrutés par engagemens. Il en résulte qu’elle ne dispose pas des forces militaires suffisantes pour faire seule la guerre à une puissance comme l’Allemagne. D’ailleurs, le Roi, le gouvernement et la partie la plus éclairée de la nation se rendent compte qu’une guerre comporte toujours, pour un bénéfice incertain, de terribles risques. Au moindre échec, ce serait peut-être la famine, avec la masse de ces unemployed qui sont plus d’un million et demi, et dont le nombre grossit chaque jour, et là-bas, dans les colonies, le soulèvement des indigènes que travaille déjà le ferment libéral et national. Edouard VII est un pacifique ; ses combinaisons n’ont pas pour fin la guerre, mais son but est de fonder en Europe un ordre durable, un équilibre stable, et d’assurer ainsi l’avenir avant l’heure où son fils recevra la redoutable charge de la couronne.