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le regard des observateurs subtils, puis se détacha soudain de l’empyrée pour aller s’éteindre dans les flots[1] : c’est celle du docteur Ludwig Woltmann, dont nous dirons en quelques mots la courte et pourtant féconde carrière. Né à Solingen en 1871, devenu à la fois docteur en philosophie, afin de contenter ses goûts dominans, et docteur en médecine pour s’assurer le pain quotidien, Woltmann fut d’abord séduit par les doctrines marxistes, fit adhésion au credo démocrate-socialiste et se livra quelque temps à la propagande des principes de ce parti. Toutefois, son esprit, mûri dans l’atmosphère darwinienne des cliniques et des laboratoires, ne resta pas longtemps prisonnier de cet imprudent optimisme psychologique, héritage de Jean-Jacques Rousseau, qui inspire le Manifeste communiste et plus encore le Capital de Marx[2]. Ses écrits de ce temps[3]disent ses scrupules et ses sincères examens de conscience. Aux côtés de M. Edouard Bernstein, il prit part à ce curieux mouvement néo-kantien qui aboutit vers 1899 à une tentative de révision du programme socialiste, et il exposa courageusement ses idées de réforme au congrès ouvrier de Hanovre (1898), où il avait été délégué par ses coreligionnaires politiques. Puis, l’effort révisionniste ayant été paralysé dès ses premiers pas par les doctrinaires du marxisme, Woltmann se retira du parti.

Il était pourtant un mystique par tempérament, lui aussi, comme en témoignent les confidences de ses amis au sujet de son caractère[4], et sa première mésaventure intellectuelle ne devait pas le garder contre des illusions nouvelles, puisqu’il n’échappa au mysticisme de la classe, à la foi dans la bonté naturelle du prolétariat, que pour glisser vers le mysticisme de la race, vers la confiance entière dans la mission providentielle du Germain blond. C’est l’influence de Nietzsche qui semble avoir, à ce moment, pris le dessus dans son esprit. Par le prophète du surhomme, il fut conduit aux inspirateurs savans de la dernière période nietzschéenne, à Broca, à Virchow, à

  1. Le Dr Woltmann a péri noyé dans la Méditerranée au début de l’année 1907, à l’âge de trente-cinq ans.
  2. Voyez l’édition allemande du IIIe volume de notre Philosophie de l’Impérialisme : Der demokralische Imperialismus, Berlin, Barsdorff, 1907.
  3. System des moralischen Bewusstseins (1898), Die darwinische Theorie und der Socialismus (1808), Der hislorische Materialismus (1900).
  4. Voyez le numéro d’avril 1907 de la Politisch-anthropologische Revue, tout entier consacré à la mémoire de Woltmann.