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voudra coopérer à une entreprise industrielle, agricole ou commerciale. De là abaissement de la production générale, donc aussi de la distribution possible entre les travailleurs. Le syndicalisme révolutionnaire tue la poule aux œufs d’or, sous prétexte de répartir ces œufs plus également entre tous.

En déduisant d’une prétendue insolidarité entre classes la nécessité d’une guerre ouverte ou sourde, le syndicalisme révolutionnaire méconnaît les principes les mieux établis de la sociologie. Il met en avant la loi d’airain qui pèse sur les ouvriers tant qu’ils ne se révoltent pas contre leurs tyrans ; mais toutes les lois économiques sont d’airain et pèsent sur les patrons comme sur les ouvriers, solidairement. Qu’un certain nombre d’industries voient diminuer leur production et se ruinent, voilà des ouvriers sans ouvrage et sans pain ; voilà aussi des actionnaires ou obligataires qui auront perdu leur argent, leurs économies ; plusieurs, peut-être, se trouveront ruinés du coup et, dans leur désespoir, se feront sauter la cervelle. Voilà aussi la production générale du pays et son crédit rabaissés sur le marché international. Si ce pays ne produit pas assez pour exporter, il ne pourra pas importer les objets dont il a besoin et qui souvent, comme en Belgique ou en Angleterre, ne sont rien moins que des denrées alimentaires, des subsistances[1]. Crise nouvelle, famine, etc. Toutes ces lois sont encore d’airain, et ce sont des lois de solidarité qui foulque tous souffrent des souffrances de chacun. Ce qui n’empêche pas nos ouvriers, en France, de proclamer obstinément leur « insolidarité. » Ils ne sont pas solidaires des patrons, ils ne sont pas solidaires des bourgeois, ils ne sont pas solidaires de leur patrie ! Ils se suffisent à eux-mêmes, comme le dieu d’Aristote, ils sont une classe à part, indépendante, autonome, autocrate. Mais alors, pourquoi demandent-ils de l’ouvrage aux bourgeois dont ils sont tellement insolidaires ? La vérité est que chacun de nous est une maille de l’immense filet ; on ne peut tirer en un sens ou en l’autre sans que toutes les mailles, de la première à la dernière, soient changées de forme et de place. Ce n’est pas la peine de tant prêcher aux enfans des écoles la solidarité humaine si on leur persuade par ailleurs qu’il y a des insolidaires, et qu’ils sont la masse du peuple.

  1. La Belgique doit acheter chaque année à l’étranger pour 600 millions de denrées alimentaires qui lui manquent.