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le prince Antoine, homme fort prudent, facile à épouvanter ; en dehors des puissances directement intéressées, il y a la Russie dont le Tsar désire énergiquement la paix dans la conviction que la guerre déchaînerait la révolution, son cauchemar, il y a l’Angleterre dont les ministres sont opposés systématiquement à tout remuement belliqueux. Tsar et ministres sortiraient peut-être de la mollesse d’une assistance froide s’ils voyaient surgir devant eux la possibilité d’un conflit redouté. Et alors pourraient s’ouvrir ces négociations officielles ou officieuses qu’on nous refuse. Puisqu’on ne nous accorde pas le tête-à-tête diplomatique, il ne nous reste d’autre ressource que de faire entendre du haut de la tribune aux deux puissances complices ce que l’une ne veut pas comprendre, ce que l’autre ne veut pas entendre, et de réveiller une Europe engourdie.

Gramont entra immédiatement dans mon point de vue et trouva dans sa mémoire de diplomate des exemples de déclarations qui, dans des cas pareils, avaient, par leur énergie, sauvegardé la paix. L’Empereur le chargea de préparer une déclaration qui serait soumise, dans le Conseil du lendemain, à l’approbation de nos collègues.

Le 5 juillet, vers les deux heures, Cochery, député du Centre gauche, se rendait tranquillement à la séance du Corps législatif. Thiers, dont il était un des lieutenans, l’aborda, appela son attention sur la gravité de l’affaire espagnole et le pressa de déposer une interpellation. Cochery y consent. Toutefois, avant de la remettre au président, il me fait demander par deux de ses collègues, Planat et Genton, si je vois quelques inconvéniens à ce dépôt. Des négociations eussent-elles été alors en cours, ou eussions-nous eu l’espérance d’en nouer quelque part, je n’aurais pas accepté, et Cochery et ses amis n’eussent pas insisté. Mais j’avais le télégramme par lequel Lesourd nous instruisait du refus catégorique de Thile d’entrer en explications : l’interpellation n’offrait plus d’inconvénient ; au contraire, elle nous fournissait le moyen tout naturel de placer une barrière entre l’entreprise de la Prusse et la date du 20 juillet, et de porter à la tribune la déclaration que nous avions décidée le matin. Ainsi autorisé. Cochery se lève et déclare qu’il demande à interpeller le gouvernement sur la candidature éventuelle d’un prince de la famille royale de Prusse au trône d’Espagne. « Aussitôt on l’entoure, on le presse, on le fête, on lui