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une armée de 415 000 hommes[1]. » Le maréchal Vaillant, les généraux Bourbaki, Frossard, Failly et tant d’autres exprimaient la même confiance. Le Bœuf la partageait tout à fait. Dépourvu de vantardise en ce qui le concerne, il me disait : « Je ne vaux que pour 60 000 hommes. » Il croyait, au contraire, l’armée capable de tous les miracles et, sans dissimuler l’infériorité de ses effectifs, apte à donner une preuve de plus du nombre contrebalancé par la qualité. Les choses militaires ne relevaient que de l’Empereur[2] : il avait réclamé, et nous ne lui avions pas disputé, le privilège impérial de les régler et de les contrôler, sauf dans la partie exclusivement politique, relative à la fixation du contingent. Le Bœuf s’est trompé, lorsqu’il a parlé d’états présentés au Conseil ; le Conseil ne lui en a pas demandé et il ne lui en a pas soumis[3]. Ses communications n’ont été faites qu’à l’Empereur ; c’est avec lui seul qu’il les a débattues, et c’est dans une de ces notes qu’il lui a dit : « Nous sommes plus forts que les Prussiens sur le pied de paix et sur le pied de guerre. » Le Conseil lui a tout simplement demandé : « Maréchal, vous nous aviez promis que, si la guerre arrivait, vous seriez prêt : l’êtes-vous ? » Le maréchal ne dit pas, en fanfaron ridicule et en marquant nos étapes sur Berlin, que la guerre serait une promenade militaire : il dit au contraire que la lutte serait difficile, mais qu’étant tôt ou tard inévitable, puisqu’on nous en offrait une occasion, nous pouvions l’affronter sans crainte. L’armée était admirable, disciplinée, exercée, vaillante, son fusil de beaucoup supérieur au fusil prussien ; son artillerie commandée par un corps d’élite, et nos mitrailleuses, que les Prussiens n’avaient pas, seraient d’un effet aussi terrible que nos fusils. La mobilisation et la concentration s’opéreraient rapidement selon les données du maréchal Niel. Et si nous agissions avec résolution sans perdre de temps, nous surprendrions les Prussiens au

  1. L’Empire libéral, t. X, p. 376.
  2. M. Emile Segris à M. Emile Ollivier, 14 février 1873 :
    « Jamais, à ma connaissance, le Maréchal ne nous a lu ni montré d’états, pas plus qu’il ne nous a fait connaître les rapports si importans du colonel Stoffel que je n’ai connus qu’après les événemens et alors que j’étais rentré à ma campagne. Mais ce que j’affirme, c’est qu’au dernier moment, quand on renonça à la résolution qui avait été adoptée à l’unanimité le 14 à 5 h. 3/4 de l’après-midi et qui ajournait la guerre, le Maréchal sur ma demande ne me répondit pas seulement : « Nous sommes prêts, » mais que « jamais la France n’aurait une pareille occasion de vider son différend avec la Prusse ! »
  3. Ce propos lui a été prêté faussement ainsi que plusieurs autres.