Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

renouveler le public pour la même pièce. Aucune ne pouvait donc fournir des droits très élevés. Par ce seul fait que les spectateurs capables de payer leur place ont augmenté en nombre, la situation respective des créateurs et des interprètes s’est modifiée ; sans qu’il y ait lieu d’ailleurs de rechercher si ce public, décuplé en effectif et en richesses, est celui de la Comédie ou celui de la Foire.

Au temps où les Confrères de la Passion, associés aux Enfans Sans-Souci, constituaient hors la Porte Saint-Denis l’unique troupe parisienne, l’auteur et entrepreneur d’un mystère reçut à Nantes 480 francs (en 1475). Cet imprésario, qui touchait ainsi des droits dans son théâtre, au mépris des règlemens actuels de la Société des Auteurs, est le seul dont les honoraires me soient connus. En revanche, j’ai rencontré quelques types d’allocations « à l’ordonnateur des mystères : » 159 francs à Dijon (1473) ; à Rennes (1485) à trois compagnons nommés les « galans sans souci, » — venaient-ils en tournée de la capitale ? — pour une farce jouée devant le duc de Bretagne 634 francs, soit 211 francs chacun ; à Amiens (1499), à l’acteur qui a tenu le rôle de Lucifer dans le Mystère de la Passion, 70 francs.

Aux gages en espèces s’ajoutaient quelques collations : à Sisteron, au XVe siècle, parmi les dépenses du « mystère des 10 000 martyrs, » les comptes mentionnent, à côté de la poudre pour charger les coulevrines, bonne quantité de pain et de vin « pour soutenir les forces des martyrs » jusqu’à la fin de la pièce. Au XVIe siècle, les « joueurs de farces qui ont été aux noces de Mgr de la Trémoïlle » gagnent 50 francs, le même prix qu’un tambourin, et, quelques années plus tard (1512), il n’est donné que 10 francs « à un passant qui a joué un mystère » devant Mm8 de Talmond. En Flandre, l’archiduchesse payait le double pour un montreur d’ours et le triple pour un « joueur de souplesse. » Mais des « joueurs » capables reçoivent 120 francs en Franche-Comté (1549) pour avoir représenté la « moralité de l’empereur Octavien » et deux comédiens engagés deux jours de suite devant l’ambassadeur d’Espagne sont gratifiés de 128 francs en 1612.

C’étaient là des nomades, héros futurs du Roman Comique. La province ne possédait encore aucun théâtre stable : on jouait dans une salle d’auberge au bon plaisir de l’autorité, qui, à son gré, permettait de représenter la comédie et de faire battre le